Une ancienne ministre à la direction de SKEMA ?

Une ancienne ministre à la direction de SKEMA ?

Après un mandat de 5 ans à la tête du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal est en recherche de reconversion professionnelle. Parmi les différentes pistes intéressantes : un poste de direction au sein de l’école de management SKEMA. Mais tout n’est pas si simple…


Un mur à franchir : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) 

Après la fin de leur mandat pour le gouvernement, l’ensemble des fonctionnaires d’Etat envisagent forcément une reconversion professionnelle. Celle-ci peut se faire dans le public, comme dans le secteur privé (les fameux pantouflards, adeptes des aller-retour entre privé et public). 

Une des fonctions principales de la HATVP est la mise à disposition sur la place publique d’informations concernant les revenus, les patrimoines mais aussi les intérêts déclarés par les membres du gouvernement. 

En particulier, les conflits d’intérêt sont pris très au sérieux par la HATVP, qui se base sur l’article 2 de la loi n°2013-907 qui traite de la transparence de la vie publique. Ainsi, est considéré comme conflit d’intérêts « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». 

Lorsqu’un ex-membre de la classe politique souhaite effectuer une reconversion professionnelle, une demande doit être formulée au président de la HATVP, qui examinera si oui ou non les conditions sont favorables, eu égard du passé politique et de toutes les connexions créées de par les anciennes fonctions du demandeur.

À ce sujet, les avis rendus par la HATVP sont publics et mis à disposition sur leur site web, détaillant les motifs de la validation ou du refus de la reconversion professionnelle.


Une reconversion professionnelle de Frédérique Vidal au sein d’un éco-système bien particulier…

Avant toute chose,  précisons que F.Vidal, amie proche d’Alice Guilhon (Directrice Générale de SKEMA) a effectué une demande pour rejoindre le poste de Directrice de la stratégie et du développement de l’école lilloise. Ce poste clé de direction a vocation à mettre sur pied tout un appareillage afin de faire grandir l’école et de renforcer sa crédibilité au sein de son environnement concurrentiel. SKEMA, désormais 6ème pour la 2ème année consécutive au classement SIGEM, semble être sur une dynamique positive depuis quelques années, avec une crédibilité renforcée auprès des candidats et des places remportées dans plusieurs classements d’écoles de management. L’école ne s’en cache pas : SKEMA rêve d’intégrer un jour le cercle historique et très fermé du TOP5 des écoles de management françaises (HEC Paris – ESSEC – ESCP – EDHEC – EMLYON). Ce petit club d’écoles prestigieuses donne notamment accès aux opportunités professionnelles les plus élitistes dans les domaine du conseil en stratégie (top cabinets) ou de la haute finance par exemple, des secteurs et entreprises dans lesquels SKEMA n’est pas encore la bienvenue pour les recruteurs (en sortie d’études en tout cas), qui gardent une vision du recrutement toujours très orientée classements en misant beaucoup sur le namedropping des écoles d’où sont issus leurs nouveaux salariés. En ce sens, le recrutement d’un ex-poids lourd du gouvernement semble tout à fait pertinent pour la grande ambition affichée et assumée de l’école multi-campus. 


Lire plus : Classement des grandes écoles de management – Quelle perception des recruteurs ?


Dans son rapport publié ce 4 août 2022, la HATVP s’est opposée à ce mercato estival : « le projet de Madame Vidal est incompatible avec les fonctions gouvernementales qu’elle a exercées au cours des trois dernières années, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les risques déontologiques ».

Le rapport précise qu’en effet, en règle générale, les grandes écoles de management ont le statut d’association, dans le sens où celles-ci ont pour obligation légale de réinjecter l’ensemble de leurs bénéfices dans des investissements pour développer leur école. Autrement dit, ces structures ne sont pas soumises au versement de dividendes pour des actionnaires en fin d’exercice comptable (hormis quelques structures qui ont opté pour un changement de statut comme le groupe OMNES Education auquel est rattachée l’INSEEC Grande Ecole ou emlyon business school plus récemment encore qui est devenue une société anonyme en 2019).

Toutefois, le très fort environnement concurrentiel dans lequel évolue SKEMA couplé à ses ressources financières majoritairement privés et son incubateur-accélérateur Venture Factory, font de SKEMA une entité qui doit bel et bien être considérée comme une entreprise privée.


Des contrats financiers du gouvernement en faveur de SKEMA : un NON pour la reconversion de Frédérique Vidal

Dans sa délibération du 19 avril 2022, rendue publique juste ici, la HATVP a refusé la reconversion de l’ex-ministre au sein de SKEMA pour des raisons de conflit d’intérêt qui apparaissent plutôt évidentes et que nous allons vous détailler ici.

Premièrement, pendant ses années au sein du Ministère, Frédérique Vidal a considérablement augmenté les subventions étatiques accordées à SKEMA. Le rapport de la HATVP précise une augmentation de 20% de ces aides financières étatiques, en faveur de l’école lilloise afin de la renforcer financièrement et lui permettre de se développer davantage. Et ce en 2021, soit une petite année seulement avant la formation du nouveau gouvernement. Or, il est très clairement précisé que : « Le premier alinéa de l’article 432-13 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 euros le fait, pour un agent public, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux, dans une entreprise privée dont il a assuré la surveillance ou le contrôle, ou avec laquelle il a conclu un contrat ou donné un avis sur un contrat dans le cadre de ses fonctions ». Autrement dit, sachant que F.Vidal a fortement poussé SKEMA pour l’obtention de subventions, il semble assez louche ou plutôt carrément interdit de rejoindre cette même institution après son mandat. 


Frédérique Vidal vers un poste au sein de l’EFMD ?

Parallèlement à ce refus de rejoindre les rangs de SKEMA, la HATVP a toutefois autorisé l’ex-ministre à se faire employer par la Fondation européenne pour le développement du management, plus connue sous le sigle EFMD. C’est cette même institution qui travaille sur la délivrance des labels EQUIS et EPAS pour les écoles et leurs programmes. 

Le rapport publié le 4 août par la HATVP tranche favorablement à la demande de Frédérique Vidal envers l’EFMD en tant que Conseillère spéciale de son président, avec toutefois quelques réserves : 

« Madame Vidal devra, dans le cadre de son activité privée, s’abstenir de toute démarche, y compris de représentation d’intérêts, auprès : – des membres du Gouvernement en exercice qui l’étaient également lorsqu’elle était ministre ainsi que des membres de son cabinet qui occupent encore des fonctions publiques ; cette réserve vaut, pour chacune des personnes qu’elle vise, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la cessation de la relation de travail entre Madame Vidal et la personne concernée ; – des services sur lesquels elle avait autorité et dont elle disposait en tant que ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, jusqu’au 20 mai 2025 ».

Co-fondateur du média, je gère les relations avec les entreprises partenaires et les Grandes Ecoles. En parallèle étudiant à Sciences Po Paris ainsi qu'à emlyon business school.