Stéphane Justeau de l’ESSCA : « Cerner ChatGPT plutôt que l’interdire »

Stéphane Justeau de l’ESSCA : « Cerner ChatGPT plutôt que l’interdire »

Nous avons rencontré Stéphane Justeau, directeur de la pédagogie de l’ESSCA. En tant que professionnel de la pédagogie avancée, il nous fait part de son expertise sur le développement de l’intelligence artificielle au sein de l’enseignement, et notamment à travers l’apparition récente de ChatGPT.

  

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Bonjour Stéphane, pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je suis Stéphane Justeau, directeur de la pédagogie à l’essca. Je suis titulaire d’un doctorat en économie et enseigne encore cette discipline. J’ai créé en 2010 le centre de pédagogie de l’essca, l’institut de pédagogie avancée, qui forme nos enseignants à la pédagogie dans le supérieur. Je travaille actuellement, entre autres choses, sur l’utilisation de la méditation de pleine conscience en classe et son impact sur l’attention.

 

Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de ChatGPT et de ses utilisations, notamment dans l’enseignement supérieur ?

ChatGPT est un agent conversationnel capable de donner des réponses plausibles aux questions qu’on lui pose. Il est mû par l’IA et n’est que la pointe de la partie émergée de l’Iceberg. L’outil est arrivé comme une déferlante courant décembre 2022 et les étudiants et étudiantes du monde entier ont très vite compris l’intérêt que cela pouvait présenter pour eux, dans le cadre de rapport, de mémoire et plus généralement de travaux à faire la maison. Bien sûr, par nature, ChatGPT échappe aux mailles des filets des détecteurs anti-plagiat les plus performants. Difficile alors pour les enseignants de contrôler si les élèves l’ont utilisé ou non. Il est en tout cas impossible à ce stade d’en avoir la certitude. C’est cela qui doit nous faire réfléchir à la manière d’intégrer l’outil plutôt que l’interdire, le fuir ou encore nier son existence.

 

Que pensez-vous de la réaction de certains établissements face à ChatGPT, allant même jusqu’à interdire son utilisation pour Sciences Po ?

Interdire ChatGPT revient à interdire l’usage d’ouvrages ou d’Internet. C’est impossible dans le cadre de la législation actuelle en tout cas. Et comment interdire ?

Mais bien sûr les règlements intérieurs doivent être ajustés en intégrant cette nouvelle dimension. C’est une réponse institutionnelle très importante. Il doit être rappelé, en évoquant l’IA, qu’une institution d’enseignement supérieur ne saurait accepter que les élèves ne soient pas les auteurs de la production intellectuelle qui leur est demandée.

 

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Comment l’ESSCA compte-t-elle se positionner face à l’utilisation de ces outils d‘intelligence artificielle ?

Il y a pour nous la nécessité de nous adapter en considérant que l’outil est un nouvel élément de notre environnement et en l’intégrant en tant que tel dans nos stratégies d’enseignement et d’apprentissage.

Wikipédia est arrivé comme une déferlante dans le monde de l’éducation et beaucoup y voyaient les prémisses de la fin de la recherche documentaire, de l’esprit critique chez les élèves. Rien de tout cela n’est arrivé. En revanche :

  • Des outils de détection de plagiat très efficaces ont été déployés (et qui vont disparaitre ou devoir évoluer avec l’IA et ChatGPT en particulier)
  • Cela a imposé la nécessité, et c’est une bonne chose, de former les élèves à identifier et citer clairement leurs sources.

Nous devons par ailleurs considérer l’impact de l’outil au-delà de la sphère académique. Il est déjà présent et utilisé dans les entreprises, notamment par les stagiaires à qui j’ai eu l’occasion de parler. Nous devons préparer les étudiants à cela.

Enfin, il est nécessaire d’élaborer un cadre éthique pour l’utilisation l’IA au sein l’institution (à l’usage des enseignants- en enseignement et en recherche- et des étudiants).

 

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Selon vous, comment les outils tels que ChatGPT pourraient être mis au service des étudiants et des parties prenantes de l’enseignement en général ?

L’arrivée de ChatGPT et de ses concurrents, présents ou à venir, pourrait être considérée comme une bonne nouvelle. En effet, c’est sans aucun doute une occasion d’améliorer nos pratiques d’évaluation en les orientant davantage sur les compétences (Savoir-agir complexe au sens de Tardif) et moins sur la restitution de contenu puisque l’auteur de cette restitution devient sujette au doute. Restituer les principaux éléments d’un concept ou d’une théorie est une tâche qui peut potentiellement être effectuée (plus ou moins bien) par ChatGPT. Evaluer l’application de ce concept ou cette théorie à une situation réelle vécue par l’étudiant ou l’étudiante est une manière de s’assurer de leur bonne appropriation et d’écarter la possibilité que la réponse soit fournie par un agent conversationnel.

Il y a d’autres pistes bien sûr :

  • Repenser l’évaluation des apprentissages en mettant l’accent sur les traces d’apprentissage, le cheminement plutôt que sur le résultat final.
  • Evaluer les synthèses de document.
  • Evaluer les compétences que l’IA n’a pas (encore) et qui sont pour le moment propres à l’humain : sens moral, sens critique, prise de position argumentée, aptitude à traiter un sujet avec humour ou dérision, auto-critique, etc.

L’outil peut aussi s’avérer utile pour l’enseignant pour, par exemple :

  • Créer des QCM calibrés.
  • Générer des questions d’autoévaluation permettant aux élèves d’évaluer l’évolution de leurs compétences.
  • Générer des sujets de travaux de groupe contenant des interdépendances complexes nécessitant l’implication de chaque membre du groupe.

 

Comment voyez-vous l’avenir de ce type d’outils ? Vont-ils, à terme, remplacer le travail humain de rédaction ?

Difficile à dire concernant cet outil en particulier. Mais l’IA, qui le sous-tend, elle, ne va pas s’arrêter de sitôt. Il est vrai que lorsque l’on interroge des élèves sur le sujet, il est souvent répondu que ce n’est pas nécessairement l’aptitude de l’outil à fournir du contenu qui les intéresse mais son aptitude à bien rédiger ce qu’ils auraient eu du mal à exprimer clairement.

 

 

Comment les sociétés vont-elles, à votre avis, inclure ce type d’outils dans leur quotidien ?

Difficile à dire mais ce qui est sûr c’est qu’il va être nécessaire de réagir rapidement et de poser un cadre légal et éthique de l’utilisation de ces outils.

 

Un mot pour la fin ?

Que l’on veuille ou non, que cela réjouisse ou que cela fasse peur, l’IA va déferler dans nos vies. ChatGPT n’en est qu’une toute petite illustration. L’obscurantisme n’a pas sa place dans ce domaine et il est largement préférable de cerner l’outil, ses avantages comme ses limites et d’apprendre à travailler avec plutôt que de l’interdire. L’acceptation ici ne consiste pas à dire que c’est bien mais à admettre que c’est là. Des éléments intéressants peuvent en sortir, pour les enseignants comme les étudiants.

 

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Rédactrice en chef de Planète Grandes Ecoles et étudiante en école, j'ai à coeur d'aider les étudiants à mettre toutes les chances de leur côté pour réussir !