- PORTRAITS
- Maeva Santos
- 1 septembre 2024
Rosalind Franklin : l’histoire de celle qui a découvert l’ADN
Découvrez dans la série d’articles « femmes brillantes de l’ombre » le parcours fascinant de Rosalind Franklin, dont le génie scientifique a été éclipsé par les défis de son époque. Connue pour ses contributions décisives à la découverte de la structure de l’ADN, elle a joué un rôle crucial dans l’élucidation de cette molécule fondamentale. Souvent méconnue, son travail a pourtant jeté les bases de nombreuses avancées en biologie et en médecine moderne.
Les premiers pas de Rosalind Franklin : des débuts brillants à la conquête des mystères de l’ADN
Rosalind Elsie Franklin est née le 25 juillet 1920 à Notting-Hill, elle est le second enfant d’une fratrie de cinq et grandit dans une riche famille juive. Ses parents, philanthropes reconnus, sont particulièrement impliqués dans l’accueil des juifs immigrés d’Europe. Ils encouragent Rosalind à faire des études, notamment son père dont le rêve était de devenir scientifique mais qui n’a jamais pu le concrétiser à cause de la Première Guerre mondiale. Dès son plus jeune âge, Rosalind est très intéressée par les sciences et elle excelle dans ce domaine à St Paul Girl’s School, un des rares établissements qui enseigne la chimie et la physique aux jeunes filles. Elle continue dans cette voie en intégrant le Collège Newnham de Cambridge pour étudier la chimie et la physique. Elle y obtient sa licence en 1941, en arrivant deuxième de sa classe. Elle intègre ensuite l’université de Cambridge en tant que boursière et obtient son doctorat en physique chimie en 1945 pour ses travaux sur la porosité des structures du charbon permettant entre autres la production de carburants et de masques à gaz. Après la Seconde Guerre mondiale, elle se rend à Paris et intègre le Laboratoire central des services chimiques, elle y apprend les techniques de diffraction des rayons X et devient une spécialiste de la cristallographie. Il s’agit d’une science qui étudie la structure des cristaux à l’échelle atomique, Rosalind s’en servira pour étudier le passage du charbon au graphite.
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Rosalind Franklin : l’ombre des découvertes et la bataille pour la reconnaissance
Pendant les années 1950, elle retourne à Londres au King’s College, et est affectée au département de biophysique, ce qui lui permet de mettre à profit son expertise en cristallographie et rayons X pour étudier l’ADN. Elle y rencontre le physicien Maurice Wilkins, avec qui la relation professionnelle sera difficile et le doctorant Raymond Gosling qui avaient déjà étudié cette molécule. À cette époque, la grande question des chercheurs était de savoir comment cette molécule pouvait être à la base de la vie sur Terre. Au fil de ses recherches, Rosalind parvient à contester les modèles d’ADN précédemment proposés par Maurice Wilkins et à les perfectionner.
En 1951, James Dewey Watson et Francis Crick créent un modèle hypothétique de la structure de l’ADN et le soumettent à Rosalind Franklin, qui le critique sévèrement. Ses relations tendues avec ses collègues masculins, la poussant à changer de laboratoire, lui valent le surnom de «Dark Lady ».
La même année, elle réalise plusieurs radiographies de l’ADN qu’elle expose aux rayons X pendant une centaine d’heures. Sur le cliché 51, précisément, elle parvient à distinguer la structure en double hélice de l’ADN, dites A et B. À l’insu de Rosalind, qui souhaitait approfondir ses recherches sur sa découverte, Maurice Wilkins transmet les travaux de la chimiste à James Dewey Watson et Francis Crick, leur fournissant ainsi la représentation graphique qui leur manquait pour être les premiers à déchiffrer la structure de l’ADN. Ainsi, les trois hommes décident de publier leurs résultats fondés sur les clichés de Rosalind dans le magazine « Nature ». Dans leur article, ils mentionnent les travaux d’autres chercheurs ayant aussi contribué à cette découverte. Pourtant, ils omettent de citer Rosalind Franklin pour les éléments essentiels qu’elle a apportés, étant donné qu’ils étaient obtenus sans son consentement.
Lorsque Rosalind découvre le subterfuge, elle publie d’autres clichés, dans la même revue, pour prouver que ce travail lui appartient. Cependant, son article sera relégué au second plan laissant entendre qu’elle se serait inspirée des travaux des trois chercheurs. Par conséquent, Rosalind Franklin se voit injustement exclue de la découverte de la structure en double hélice de l’ADN.
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Rosalind Franklin : un génie éclipsé par les préjugés de son époque
Peu après, Rosalind Franklin est contrainte de quitter le King’s College en raison de conflits avec ses collègues et rejoint le Birkbeck College, où elle se spécialise en virologie. Elle applique la cristallographie aux virus, découvrant ainsi la structure du virus de la mosaïque du tabac. Elle entame ensuite diverses collaborations avec des laboratoires américains, contribuant à des recherches importantes sur le virus de la poliomyélite. L’un de ses collègues, Aaron Klug, recevra le prix Nobel en 1982 pour ses recherches sur la structure des virus, qu’il avait en partie menées avec Rosalind Franklin.
De leur côté, en 1962, James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins deviennent les premiers de l’Histoire à avoir décodé l’ADN et reçoivent le prix Nobel de médecine. Ce prix ne pouvant être décerné ni à titre posthume ni à plus de trois personnes, Rosalind Franklin, décédée en 1958 à seulement 37 ans d’un cancer de l’ovaire, ne recevra jamais, de son vivant ou après sa mort, la reconnaissance pour ses travaux et découvertes.
Après sa mort, il est devenu évident qu’elle n’avait pas reçu la reconnaissance méritée pour ses contributions scientifiques majeures, souvent attribuées à son statut de femme. Malgré la reconnaissance tardive de son œuvre, son héritage scientifique est désormais célébré par de nombreux hommages. Depuis 1982, elle a reçu divers hommages posthumes : des instituts de recherche mais aussi des prix portent son nom, et des statues ont été érigées en son honneur. En 2008, elle a été honorée du prix Louisa Gross Horwitz, attribué pour une contribution exceptionnelle à la recherche fondamentale en biologie et biochimie.
Bien que ses découvertes aient été longtemps noyées dans l’ombre, le génie de Rosalind Franklin éclaire aujourd’hui le monde scientifique. Son héritage perdure à travers les distinctions et les hommages qui soulignent l’impact immense de son travail.
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