Rencontre avec Samuel Vrignon, étudiant à l’ESCP et créateur d’une association de philosophie
Bonjour Samuel, peux-tu te présenter ?
Bonjour. Je m’appelle Samuel Vrignon, et après deux ans de CPGE ECS, j’ai intégré l’ESCP. La chose la plus importante à savoir sur moi est que je suis un homme engagé et de bonne volonté. Je crois que chacun peut, à sa manière, participer à la construction d’un monde meilleur. Quel que soit le cadre dans lequel je suis placé ou dans lequel je travaille, j’essaye de me demander comment je peux concourir à son amélioration et à son perfectionnement. Évidemment, je pense que le cadre d’action le plus efficace et le plus rapide pour améliorer la vie des gens est celui de la Cité.
Tu as fait une CPGE, qu’est-ce que cela t’a apporté ?
La CPGE m’a avant tout, et assez curieusement d’ailleurs, apporté beaucoup de plaisir. Plaisir de la réflexion et de l’analyse, plaisir de la culture générale, qu’elle soit géopolitique, ou philosophique, plaisir des mathématiques aussi. J’ai développé en prépa un amour de la connaissance et de la pensée qui ne m’a jamais quitté depuis.
J’ai également la croyance ferme que chaque personne, d’où qu’elle vienne, peut s’émanciper et se libérer de ses préjugés par la rigueur et la connaissance, à la fois de soi et du monde. La prépa a été pour moi l’occasion de cette émancipation. J’ai voyagé à travers le monde des idées en philosophie et en mathématiques, mais également à travers le monde réel – bien que par le biais de livres – en géopolitique et en langues. J’ai la conviction que cela apporte un certain recul sur les choses. J’ai par ailleurs expérimenté mes limites physiques, surtout lors de la période de révision Covid, et rencontré des amis que je garderai toute ma vie et que je soupçonne déjà d’être mes futurs témoins.
À l’issue de tes deux années de CPGE tu as intégré l’ESCP…
Mon année a l’ESCP a été tumultueuse et faite de multiples aventures et d’expériences diverses et variées.
J’ai d’abord commencé mon année par une campagne pour être président du BDE, avant que les campagnes ne soient remplacées par un vote interne – au courant duquel j’ai été finalement élu secrétaire général du BDE. J’ai là-bas rencontré des gens formidables qui travaillent très bien, et nous organisons d’ailleurs cette année grâce à la motivation de notre président le plus grand séminaire jamais organisé par l’ESCP : 750 personnes et 3 promos confondues pour permettre à tous de s’amuser après plus d’un an de restrictions Covid.
J’ai également fondé et pris la responsabilité du pôle interview dans le média étudiant de l’ESCP, Streams. Au cours de l’année, j’ai eu l’occasion d’interviewer et de rencontrer des philosophes, des hommes et des femmes politiques et des économistes, ça a été pour moi une expérience très enrichissante. Nous avons par ailleurs mené de front la rénovation du site, rénovation qui n’aurait pas été possible sans le généreux soutien de planète grandes écoles que je remercie vivement ici.
Tu as notamment eu l’idée de développer une association de philosophie, d’où l’idée t’est-elle venue ?
C’est vrai, l’association s’appelle Le Jardin. L’expérience BDE et média étudiant ont été fantastiques et j’y ai trouvé des gens incroyables et des amis, mais ces deux engagements n’ont pas été suffisants pour moi sur le plan intellectuel. J’avais ce désir de retrouver une réelle exigence intellectuelle collective, une certaine ambition, une émulation dans les choses de l’esprit que je n’ai pas connue dans la vie associative. Je trouve dommage et dommageable que pour beaucoup, en ESC, les disciplines étudiées en prépa ne soient qu’une manière d’accéder à une école et n’aient pas de valeur intrinsèque.
Par ailleurs, j’ai la conviction que la philosophie a un rôle à jouer dans le monde contemporain qui est encore négligé, mais nous y reviendrons.
Qu’as-tu fait pour créer ce projet ?
Avant tout je ne l’ai pas fait seul, loin de là. Si ce projet a pu voir le jour c’est que j’ai avec moi des co-associés, d’horizons divers, qui ont porté ce désir de philosophie et qui ont permis à l’association naissante d’avoir une réelle crédibilité par des projets, des gens motivés et engagés et notamment des essais prêts à être publiés.
Mais j’ai également la chance d’être à l’ESCP, une école qui encourage fortement les initiatives étudiantes et qui en plus accorde de l’importance aux humanités. Quand nous avons présenté le projet à l’administration, ils ont été très enthousiastes et nous ont soutenus dans toutes les démarches, nous devons notamment notre existence à Cécile Kharoubi et Richard Obringer que je remercie vivement ici. Mais déjà avant la création du Jardin, l’ESCP est une des seules écoles de commerce à avoir conservé un enseignement de philosophie à travers son cours d’humanités et management.
Quel est le but de ce club ?
Notre ambition est double.
D’abord, nous voulons réunir des étudiants de tous horizons soucieux d’améliorer et de perfectionner leur connaissance philosophique et leur réflexion par l’échange. Saint-Exupéry disait « si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis », nous sommes dans cette perspective là. Nous avons dans notre association non seulement des étudiants de l’ESCP, mais également des étudiants d’HEC et même de La Sorbonne en philosophie. La particularité de notre association est que nous sommes ouverts à tous, avec pour seul critère la motivation et le désir sincère d’apprendre.
Ensuite, évidemment, nous avons pour objectif de partager notre passion pour la philosophie, et de répandre la méthode et la réflexion philosophique partout où nous le pourrons ! La philosophie est accessible à tous et peut intéresser quiconque si elle est bien présentée.
Les projets à venir ?
Nous en avons pléthore !
D’abord les membres de notre association écrivent des essais conceptuels ou des articles de vulgarisation de philosophie.
Ensuite, nous organiserons à partir de la rentrée des conférences au sein de l’ESCP dont je tairai pour le moment le nom des trois premiers invités. Les conférences porteront uniquement sur des sujets philosophiques, et les thèmes seront variés : zoom sur la pensée d’un philosophe, présentation d’un livre d’un philosophe contemporain, vulgarisation de concepts etc.
Enfin, nous avons pour projet d’organiser des débats philosophiques, ouverts à tous, avec des thèmes moins précis et qui prêtent au débat, par exemple : l’art doit-il imiter la nature ? Y a-t-il une morale absolue ? L’argent est-il la valeur suprême ? Qu’est-ce que respecter son corps ?
La philosophie ça représente quoi pour toi ?
Avant tout une libération. La philosophie remet en doute, elle questionne, elle pousse la réflexion : ce faisant, elle libère des préjugés, des déterminismes, de l’obscurantisme. Je suis très attaché à la philosophie des lumières – d’ailleurs la devise de notre association est « Fiat lux » et son logo un livre qui illumine celui qui l’ouvre – et je crois que la philosophie apporte une dimension particulière à la vie. Elle rend la vie plus dure, assurément, car il est plus facile d’être pétri de certitudes que de douter en permanence et de se questionner sur le bien fondé de nos actes, mais cette exigence philosophique brise les chaînes originelles qui sont les nôtres.
Je crois par ailleurs qu’en libérant l’homme, elle le pousse à la responsabilité : l’idée que je me fais du philosophe est un homme qui inscrit ses actions dans un projet plus large, dans une certaine ambition d’un monde meilleur. Le philosophe agit d’abord parce il pense que son acte est bon immédiatement, mais en plus qu’il est en cohérence avec l’idée qu’il se ferait d’un monde idéal.
Mais ce n’est qu’une vision comme une autre de la philosophie, et chacun trouve dans la philosophie ce qu’il veut : une manière d’appréhender le monde, une manière de se grandir, une manière d’être heureux.
Ce qui est très important pour moi c’est de toujours rappeler que la philosophie n’est pas une doctrine de docte, réservée à quelques normaliens qui parlent grec et latin, et qui peuvent citer Heidegger dans le texte. C’est une exigence universelle, que chacun peut décider de porter, mais elle est accessible à tous sans aucune distinction quelle qu’elle soit. Je me dis qu’un monde où tout le monde est un peu philosophe ne peut pas être si horrible que ça.
Quelle importance doit-elle avoir dans le monde professionnel selon toi ?
Une importance marginale ! La philosophie est du domaine de l’homme, pas des sociétés. Je vais le dire non sans une pointe d’ironie mais quand vous avez des slides à aligner, vous ne pouvez pas vous demander en permanence si vous servez le bien en alignant ces slides, et écrire une « philosophie des slides : un renouveau du kantisme dans les sociétés contemporaines » ne fera pas votre travail. Évidemment il faut garder un certain recul, réfléchir à ce que l’on fait, mais ça ne peut pas occuper tout notre temps. Trop de philosophie peut paralyser l’action, il faut prendre garde, je crois, à rester toujours dans le réel et à garder en vue ses objectifs à court et moyen terme.
Je crois que c’est un travail personnel de se demander ce que l’on veut faire de sa vie, son utilité dans la société, les valeurs que l’on met au dessus des autres, et ensuite agir en conséquence, à la fois dans le champ politique et économique, mais ça ne peut pas faire partie intégrante de notre vie professionnelle. Ensuite … considérant que la mode dans les sociétés est au bien être, je me dis que certains hapiness managers auraient beaucoup à gagner à dispenser des cours de philosophie.
Le mot de la fin ?
Je serais tenté de dire « rejoignez-nous ! » car il paraît que « il faut cultiver son jardin » est déjà pris.