- CARRIÈRE ÉNERGIE INDUSTRIE INTERVIEWS
- Abdelwakil Benabdi
- 8 octobre 2020
Mounir Bouaziz de Shell : Un parcours inspirant (1/2)
Pouvez-vous vous présenter ?
Mounir Bouaziz, je suis gadzart (étudiant aux Arts et métiers) du campus de bordeaux 81 (promotion 1981). J’ai réalisé la quasi-totalité soit 30 ans, de ma carrière à Shell. Maintenant, je suis entrepreneur et je travaille à mon compte. Je développe des projets de Up-stream[1] en gaz en Amérique latine et en Afrique.
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Pouvez-vous nous décrire votre carrière graduellement ?
Je suis tunisien et j’ai fait une prépa technologique à Belfort. J’ai passé le concours et j’ai été pris aux Arts et métiers au campus de Bordeaux où j’ai passé deux ans. J’ai fait ma dernière année au campus de Paris avec comme spécialité les produits nouveaux. Depuis que je suis petit, je voulais visiter et connaitre beaucoup de pays.
Je me rappelle une fois aux Arts, un employé de Schlumberger est venu et nous a raconté tous ses voyages et missions dans le monde. Je me suis dit c’est ça que je veux faire ! Je n’ai pas rejoint le secteur pétrolier pour l’industrie elle-même mais plutôt pour explorer le monde et j’ai été bien servi depuis ! J’ai été recruté par Shell dont le QG est à La Haye en Hollande.
J’ai suivi 3 mois de formation là-bas puis j’ai été envoyé à Oman dans une joint venture [2] à PDO (Petroleum Development Oman). Je suivais à cette époque un graduate program [3], qui est un programme au sein de Shell qui forme les jeunes en leur donnant des responsabilités pour qu’ils soient prêts pour les postes plus hauts dans la hiérarchie. Mon travail à Oman était de superviser les travaux de construction du flow line [4]. Il s’agit d’assurer la connexion du puits jusqu’à la centrale de production de pétrole. Le but à l’époque était de voir comment fonctionnait les installations car je commençais tout juste une carrière de ce que l’on appelle aujourd’hui, Field Engineer [4].
Ce fut une excellente expérience et comme je venais d’une des meilleures écoles, j’ai introduit les ordinateurs et les databases [5] pour gérer la performance des installations. J’étais le petit jeune, et personne ne savait les utiliser ! J’ai fait tout cela pendant deux ans : je faisais deux mois sur le site et un mois off. Je profitais de ce mois off pour visiter plein de pays dans le monde !
Cette expérience m’a permis d’apprendre et de comprendre le fonctionnement des installations. Après avoir gagné en expérience, à 25-26 ans, je suis devenu Project Manager et j’ai rejoint les bureaux de PDO à Mascate (capital d’Oman). Ma mission était de produire. C’était fascinant ! J’allais dans le désert, je plantais le bâton et je choisissais l’endroit de la production. On faisait toutes les études de conceptions, l’achat des équipements etc. Puis les appels d’offres pour la construction. J’allais dans le désert toutes les semaines et cela m’a permis de voir du début jusqu’à la fin la production du pétrole. Pour les graduates, c’était très bien car on nous donnait de très grandes responsabilités dès le début. Aussi, lorsque j’étais en construction il y avait beaucoup de villages autour et on les aidait car l’entreprise avait des ressources. On a construit des puits, des écoles etc. Cela m’a permis d’apprendre à traiter avec les communautés locales. On prenait le café, les dattes etc. Cela me faisait très plaisir de les aider !
Après 5 ans, je suis allé ensuite en Hollande. A Oman, quelqu’un de Hollande me donnait la mission d’exécuter un projet et maintenant c’était à mon tour de créer des projets et c’était cette fois-ci du off-shore [6], non plus dans le désert donc, mais plutôt des projets liés au gaz. J’ai appris à faire des études économiques et des plans de développement de champs. Aussi, j’ai appris à gérer des partenaires, à les convaincre etc. Je vivais à Amsterdam et à cette époque, j’ai découvert qu’une université américaine Leiden University avait des branches en Europe pour faire des MBA.
Je faisais des cours du soir et puis, un jour, on m’appelle pour me dire d’aller au Gabon. J’étais choqué ! Je ne savais même pas où c’était ! J’ai négocié un petit peu, mais bon je n’ai pas eu le choix et j’y suis allé. Je vivais à Gamba au milieu de la jungle. On ne pouvait même pas sortir en voiture car c’était entouré d’une rivière et pour se déplacer on utilisait l’avion ! J’ai eu des aventures comme dans les films, par exemple, il nous arrivait souvent de devoir tirer la voiture avec une corde car elle était bloquée dans la boue… Ce fut une belle expérience au final !
D’un coup, je suis passé d’Amsterdam au Gabon ce qui était un gros changement d’environnement ! Mon travail était très intéressant car je m’occupais d’études économiques et je gérais toutes les relations avec les partenaires. A l’époque, Elf, maintenant Total, était vraiment présent dans le pays et je discutais beaucoup avec eux. Le français m’a beaucoup aidé pour traiter avec eux et également, le ministère des hydrocarbures du Gabon. Donc, je voyageais beaucoup entre Gamba et Libreville.
Ce fut ma première introduction dans le monde commerciale. Il y avait des négociations et des opportunités de champs à saisir. J’ai eu la chance avec mon jeune âge d’être déjà assez haut dans la hiérarchie et on m’écoutait car j’avais fait mes preuves. Après cette période au Gabon de deux ans, j’ai rejoint la section Gas&Power à Londres.
Ils recherchaient des Business Developers [7], des personnes capables de se déplacer dans le monde pour trouver des opportunités. Je m’occupais de l’Amérique du Sud, de l’Argentine, le Brésil, la Bolivie… J’avais un projet de pipeline de 3000 km qui ramenait le gaz de Bolivie jusqu’au Sud du Brésil. À l’époque, il y avait une société qui s’appelait Enron, qui a coulé lorsque l’on a appris leurs magouilles financières, mais à l’époque ils étaient vraiment à l’avant-garde du trading et de la finance. Par pur hasard, je me suis retrouvé avec un autre projet de pipeline encore une fois, qui allait de la Bolivie jusqu’au Brésil avec eux. Au bout du pipeline, il y avait une station de génération d’électricité. Avec eux, j’ai beaucoup appris ! Leur manière de structurer les projets a contribué à mon développement. Après cela, je suis devenu Vice-Président de Shell Moyen-Orient et Afrique du Nord. Je créais des opportunités, je rencontrais les chairmans des entreprises et les ministres pour créer des projets. Les trois dernières années, je me suis occupé de l’Afrique et de l’Amérique du Sud.
Vous avez des conseils pour suivre une telle carrière ?
Les IOC (International Oil Companies) ont toujours investi historiquement, malgré les différentes crises, sur des graduates programmes pour les étudiants. L’école c’est important pour obtenir l’entretien mais ce qui va faire la différence ce n’est surtout pas cela ! Que vous ayez fait Oxford ou une université au Nigéria, ce qui est important et ce qui attire l’attention est ce que vous faites en dehors de l’école ! Les initiatives, les expériences humaines, les langues etc. Quand Shell m’a pris, je ne parlais pas un mot d’anglais. J’ai appris les questions pour l’entretien par cœur ! Puis lorsque, je suis arrivé à Oman, je ne comprenais rien à ce qui se disait sur le site ! Les entretiens tentent de tester votre capacité analytique et à avoir du recul sur les problèmes. Ils peuvent donner des essais d’une dizaine de pages et vous devez les synthétiser. Aussi, votre capacité relationnel et à manager est aussi testé. Si vous demandez à quelqu’un à Shell quelle est ma plus grande qualité, ils vous diront tous que j’avais cette capacité à comprendre les attentes des gens autour de moi. Il vous faudra gérer des personnes qui seront pour ou contre vos initiatives, des personnes qui viennent du Nigéria, ou du Brésil etc.
Ensuite, Si vous dépassez un certain score, vous êtes automatiquement pris et après ils entrent dans un graduate program où on les envoie dans différentes sections dans différents pays. Aujourd’hui, si les jeunes veulent travailler dans les énergies renouvelables, les meilleurs endroits sont les grandes compagnies pétrolières malgré ce que l’on entend, de gros effort sont fait. Shell, par exemple, dû à la baisse des prix du pétrole, a baissé son budget annuel mais le budget pour le renouvelable est resté le même. Aussi, il faut être ouvert à toutes les opportunités.
En tant qu’ingénieur des Arts et métiers, je me voyais comme un concepteur mais je me suis ouvert à d’autres sujets et je me suis rendu compte que je préférais créer des opportunités ! Dans le monde du business, la communication est très importante ! Nous, les français et les allemands quand on arrivait à Shell, on voyait les anglais qui n’avaient fait que 3 ans à l’université, qui n’avait rien dans la tête, mais qui savait parler et débattre et nous, nous ne l’avions pas appris en école et je trouve cela dommage !
[1] L’Up-stream comprend la recherche de champs potentiels de pétrole brut et de gaz naturel, le forage de puits d’exploration, puis le forage et l’exploitation des puits qui récupèrent et ramènent le pétrole brut ou le gaz naturel brut à la surface.
[2] Une coentreprise, également appelée une entreprise commune, une entreprise en participation ou un(e) joint-venture , est un accord passé entre deux ou plusieurs entreprises qui acceptent de poursuivre ensemble un but précis pour une durée limitée.
[3] Ce sont des programmes créés par les entreprises pour sélectionner et fidéliser des « hauts potentiels ». Autrement dit : des jeunes qui ont vocation à devenir des cadres dirigeants de l’entreprise. D’une durée de 2 à 5 ans, la majorité des Graduate Programs prévoient des changements de postes au cours du cursus.
[4] Ingénieur de terrain, travaillant activement sur les chantiers plutôt qu’au bureau.
[5] Une base de données, permet de stocker et de retrouver l’intégralité de données brutes ou d’informations en rapport avec un thème ou une activité
[6] Off-shore désigne la recherche et l’exploitation de pétrole en mer, généralement sur une plate-forme pétrolière.
[7] Personne chargé de développer des partenariats et/ou des projets à différentes échelles (national, régional, international)
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