- CARRIÈRE
- Lola Hourdequin
- 9 décembre 2024
Les masters en finance durable : greenwashing ou progrès ?
L’urgence climatique et les défis sociaux auxquels le monde est confronté ont donné naissance à une discipline en pleine expansion : la finance durable. De nombreuses universités et grandes écoles ont récemment développé des programmes de masters dédiés à ce domaine, promus comme des formations pour les leaders de demain.
La montée en puissance de la finance durable
La finance durable repose sur l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les décisions d’investissement. Son objectif est de promouvoir un modèle économique plus responsable, en canalisant les capitaux vers des initiatives qui répondent à des objectifs de durabilité. La popularité croissante de cette approche est le résultat de la prise de conscience généralisée des impacts du changement climatique et des inégalités sociales.
En France, des institutions prestigieuses comme HEC ou l’ESSEC Business School ont créé des programmes de masters spécialisés. Par exemple, le MSc Sustainability and Social Innovation de HEC met l’accent sur l’intégration des enjeux environnementaux dans les modèles d’affaires, tandis que l’ESSEC propose un parcours en Finance durable et innovation sociale. Ces programmes combinent théorie et pratique, en collaborant avec des entreprises et des ONG locales. De plus, des universités comme Paris-Dauphine offrent un Master en gestion financière avec une spécialisation en finance durable.
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Progrès indéniable : former une nouvelle génération de décideurs
L’un des arguments en faveur de ces masters est leur rôle dans la formation de futurs leaders capables de repenser le système financier. En sensibilisant les étudiants aux enjeux environnementaux et sociaux, ces programmes permettent d’élargir leur compréhension des défis systémiques auxquels l’économie mondiale est confrontée.
En France, certains diplômés de ces masters travaillent déjà dans des institutions pionnières. Par exemple, Mirova, une filiale de Natixis spécialisée dans l’investissement responsable, attire des talents issus de ces formations pour développer des stratégies d’investissement innovantes comme les obligations vertes. Ces initiatives montrent que les compétences enseignées trouvent une application directe dans le secteur.
Ces formations encouragent également l’innovation. Les diplômés sont souvent à l’avant-garde du développement de nouveaux instruments financiers, comme les green bonds (obligations vertes), qui connaissent un succès croissant en France grâce à des acteurs publics comme l’Agence France Trésor, qui a émis l’une des plus grandes obligations souveraines vertes au monde. Ce type de collaboration entre secteurs public et privé souligne l’importance de ces programmes dans la création d’une économie plus verte.
Enfin, ces programmes répondent aux attentes des jeunes générations. Une étude réalisée par l’Institut Montaigne en 2023 révèle que 75 % des étudiants français souhaitent travailler dans des secteurs alignés sur leurs valeurs environnementales et sociales. En proposant des masters alignés sur ces aspirations, les institutions françaises jouent un rôle clé dans cette transformation.
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Les limites et les accusations de greenwashing
Cependant, la pertinence de ces masters n’est pas sans controverse. Certains critiques affirment que ces programmes risquent de devenir une forme de greenwashing académique, où l’accent est davantage mis sur le marketing que sur un véritable engagement en faveur de la durabilité.
En France, certaines critiques visent des écoles qui lancent des programmes « verts » mais continuent de collaborer avec des entreprises polluantes. Par exemple, des grandes écoles comme HEC ou l’ESCP Europe sont parfois pointées du doigt pour leurs partenariats avec des multinationales controversées dans le secteur de l’énergie fossile, comme TotalEnergies. Ces collaborations, bien que justifiées par des raisons financières ou stratégiques, créent un paradoxe qui ternit l’image de ces masters.
De plus, des associations étudiantes comme Pour un réveil écologique, un collectif de jeunes diplômés, dénoncent les limites de certains cours en finance durable, qu’ils jugent trop superficiels ou éloignés des réalités pratiques. Ces critiques soulignent un risque : que les étudiants soient formés à des concepts théoriques sans outils concrets pour mesurer et suivre l’impact des investissements ESG.
Enfin, certaines universités françaises sont elles-mêmes critiquées pour leur manque de cohérence. Selon une enquête du journal Le Monde, certaines grandes écoles continuent d’investir leur propre fonds de dotation dans des secteurs non durables, tout en promouvant leurs formations en finance durable.
Les perspectives d’avenir : vers une finance vraiment durable ?
Pour que les masters en finance durable puissent être perçus comme un véritable progrès, certaines améliorations sont nécessaires. D’abord, les institutions doivent s’assurer que ces programmes sont bien ancrés dans une expertise technique solide et régulièrement actualisés en fonction des avancées scientifiques et réglementaires. En France, des partenariats renforcés avec des acteurs comme la Banque publique d’investissement (BPI) ou l’ADEME pourraient enrichir les formations en apportant une perspective pratique et locale.
Ensuite, il est essentiel d’intégrer davantage d’éthique dans ces formations. Les étudiants doivent être encouragés à remettre en question les pratiques traditionnelles et à adopter une posture critique face aux limites des outils actuels. Certaines écoles, comme Sciences Po Paris, commencent déjà à intégrer des cours sur les dilemmes éthiques dans leurs parcours, un exemple qui pourrait inspirer d’autres institutions.
Enfin, la cohérence institutionnelle est primordiale. Les universités françaises doivent aligner leurs pratiques internes sur les principes de durabilité qu’elles enseignent, en adoptant par exemple des politiques d’investissement responsables pour leurs fonds et en réduisant leur empreinte carbone.
Les masters en finance durable sont à la croisée des chemins. Ils ont le potentiel de former une génération de professionnels capables de relever les défis globaux de manière innovante et responsable. Cependant, pour éviter le piège du greenwashing, ces programmes doivent aller au-delà des slogans et des promesses marketing.