La magie de la parole: entretien passionnant avec Eddy Moniot

Eddy Moniot s’est fait connaître dans le documentaire A voix haute, réalisé en 2015 par Stéphane de Freitas et Ladj Ly. Grand gagnant du concours Eloquentia de l’université Saint-Denis, il a depuis fait du chemin, et enseigne à son tour l’art oratoire à des publics de tous âges et toutes formations confondues (collège, lycée, supérieur mais aussi entreprise). Il est surtout comédien/acteur, et a écrit un seul en scène, ComEddy, un spectacle intime, drôle et émouvant. Il réalise également des vidéos pour sa chaîne Youtube, MillEddy. Il a accepté de nous parler de son parcours et de l’expérience qu’il a de la parole dans cette interview inédite et inspirante.

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Bonjour Eddy ! Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Eddy Moniot, je suis comédien et professeur d’art oratoire.  J’ai passé un concours d’éloquence il y a presque 10 ans, et une fois que le concours s’est terminé je me suis rendu compte que j’avais vraiment adoré l’éloquence, mais que je ne voulais plus faire de concours: je voulais m’investir dans l’association dans laquelle j’étais à l’époque!  

Le président de l’asso m’a dit “tiens Eddy, tu peux faire un service civique chez nous” je me suis dit “c’est quoi le service civique” et il m’a dit “bah en gros tu fais la même chose que tu fais là, sauf que tu es payé” donc j’ai dit d’accord tout de suite. 

Ma mission était de faire en sorte que les formateurs de Saint Denis proposent la formation qu’ils faisaient déjà à l’université dans les collèges. J’y suis allé pour les convaincre de faire cette formation, sauf que c’est eux qui m’ont convaincu de devenir formateur à mon tour.

J’ai donc suivi une nouvelle formation avec eux mais cette fois-ci non pas en tant qu’élève, mais en tant qu’assistant! J’ai appris énormément auprès d’eux, et j’ai transmis ce qui m’a été transmis car je considère qu’une connaissance est inutile si elle n’est pas transmise. 

J’ai aussi le sentiment qu’on a tous quelque chose à dire et qu’on mérite tous d’être écouté. C’est comme ça qu’on sauvera le monde: en se parlant et en s’écoutant les uns et les autres. Y’a pas de raison, y’a pas de tort, y’a en réalité plusieurs êtres humains. Donc aujourd’hui ma profession c’est comédien/acteur mais à côté de ça je donne des cours un peu partout en France, je transmet ce qui a été transmis,  et je parle beaucoup. 

Avant d’être professeur d’éloquence vous avez été élève, quelle est la chose la plus importante que vous ayez apprise à l’époque? 

L’écoute. Si on fait que parler sans écouter, on fait que ressasser nos connaissances sans jamais la faire évoluer, et au bout d’un moment elle perd toute saveur et on dit des mots qui n’ont plus vraiment de sens. C’est pourquoi écouter est super important. Pour pouvoir comprendre et réussir à intégrer leur réflexion à la nôtre. 

Surtout on s’écoute soi. On a souvent du mal à écouter son propre corps. C’est difficile de s’écouter et de se savoir. Y’a plein de choses qu’on se dit qu’on ne peut pas dire, faire… Alors que notre corps justement lui nous dit “c’est ça que je veux”.

Il y a une phrase qui dit “ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait”, je pense que c’est le principe même de la vie. A partir du moment où on décide de quelque chose, ça devient réel. 

Quand on écoute son corps on se fait énormément de bien et on sait un peu plus où on va. Écouter son esprit c’est exactement la même chose. Parfois, on se pose une question et on va y répondre tout de suite de manière intelligente: j’applique ce que j’ai appris. J’ai appris des choses, je les ai plus ou moins comprises,  je les travesties dans ma parole, je reformule les choses: c’est intelligent. Sauf que notre esprit est plus qu’intelligent. Parfois il est brut. Parfois il a la bêtise d’admettre qu’il ne sait pas, et c’est parce qu’on ne sait pas qu’on va chercher la connaissance. C’est là que c’est important d’écouter, parce que si je ne m’écoute pas, qu’on me pose une question et que je fais semblant de savoir je me fais du mal parce que, parfois, admettre qu’on ne sait pas ça va nous enrichir énormément. 

En s’écoutant on se rends compte aussi que nos idées ne sont pas forcément celles de tout le monde, ou du moins du politiquement correct. Et ce n’est pas une mauvaise chose. Quand on se rend compte de ça, on fait évoluer notre vision des choses et du monde. Si il y a une chose qui est primordiale, c’est l’écoute. 

Si juste avant un oral je stresse énormément, et que je ne m’écoute pas, je ne sais même pas pourquoi je stresse. Peut-être que je stresse parce que justement ce qui arrive est très important et j’ai envie de le réussir. Ou justement parce que je sais que je vais le réussir et ça va peut-être m’enfermer dans une filière dans laquelle j’ai pas vraiment envie d’évoluer. C’est pour ça qu’il faut savoir ce qu’on veut vraiment, en se posant des questions. 

Pourquoi c’est important de prendre la parole? 

La question d’importance est vaste: c’est important quand on décide que ça l’est. Par exemple, ce qu’on a décidé que c’était important c’est ce dont on parle tout le temps : l’égalité des sexes, l’écologie… Il y a un problème, il faut le résoudre. La parole c’est un peu ça, on a remarqué des choses, on a réfléchi, on a des choses en nous, ça a besoin de sortir. Il y a des choses que l’on pense, on a l’impression qu’on les a comprises, mais quand on les verbalise, ça prend une toute autre tournure. C’est pour ça que les psy existent: on a besoin de dire les choses oralement pour les comprendre. 

La parole a plein de fruits, plein de choses en découlent. On a besoin de parler parce que si on ne se parle pas, si on reste dans le silence,  on est plus que solitaires, on est isolés. Je pense mes trucs à moi, dans mon coin, et ça s’arrête là. J’essaye de les appliquer à ma propre vie sauf que je vie en société, en communauté, c’est compliqué. Pour ça qu’il faut se parler. La parole c’est définitivement ce qui nous sauvera, ce qui va permettre à tout le monde de s’en sortir, autant ceux qui parlent que ceux qui écoutent. 

Il y en a qui n’ont pas envie de parler. C’est important de le savoir et de le respecter. Moi j’ai mis quelques années avant de le comprendre. Le but de mon cours c’est de prendre la parole, qu’on débatte, et je rencontre des élèves qui n’ont pas envie de parler. C’est hyper important ça aussi, il faut les laisser, les gens qui n’ont pas envie de parler ils ne parlent pas, c’est tout. C’est une forme de communication aussi. Y’a des gens qui sont plus à l’aise avec l’écoute et parfois leurs pensées sont politiquement incorrectes et ils savent qu’ils ne peuvent pas le dire en société ou leur pensée ne regarde qu’elles et eux donc c’est tout aussi important. Encore une fois l’importance elle est là où on la place. 

La parole est importante parce que c’est un moyen de communication accessible à la quasi totalité de la population, et c’est plus facile de convaincre parce que,  quand on parle avec quelqu’un, y’a pas uniquement la voix qui se met en jeu. Il y a aussi tout le corps et cette énergie, l’aura, qui est le charisme, une particularité de tout un chacun, ce truc qui fait qu’on sait, on sent qu’une personne va mal sans qu’elle ait besoin de le verbaliser. On sait pas ce qui va pas, mais on sent que quelque chose va pas et la parole vient justement amener quelque chose, amener la suite. C’est pour ça que c’est aussi important, c’est comme ça qu’on va s’en sortir. Parler, ça sauve des vies. 

Qu’est ce qui vous plaît le plus dans votre métier de professeur d’éloquence? 

Je rencontre des gens. Et tout aussi surprenant que ce soit, c’est pas moi qui apprend aux autres, c’est les autres qui m’apprennent à moi. Je rencontre plein de gens de plein de bords, de milieux, de cultures et c’est forcément passionnant parce que j’en apprends chaque jour. 

En débattant je suis très heureux de voir que, par exemple, tout ce que peuvent dire les médias, les sondages etc c’est faux! Quand on discute avec les gens, on se rend compte que y’a pas une idée qui prévaut, que tout est nuancé. Si on prend l’exemple de la politique, les gens qui sont capitalistes le sont mais quand ils se rendent compte que y’a des gens qui souffrent à cause de ça, bah il font un pas de recul. Ça me bouleverse énormément, de voir que rien n’est figé. Ça me plait. Le monde est beaucoup plus beau et beaucoup plus vaste qu’on peut le voir dans sa petite fenêtre. C’est formidable.

Est-ce que tout le monde est capable de prendre la parole?

Oui. Tout le monde le fait déjà. L’éloquence, en réalité, c’est convaincre en transmettant une émotion. Quand on entend des gens qui disent que Spider Man No Way home c’est le meilleur film de tous les temps et que d’autres vont y mettre de la nuance, il va y avoir du débat et les gens vont être éloquents parce qu’il vont parler avec leur cœur. Il vont être d’une sincérité extra-ordinaire donc rien ni personne ne pourrait les contredire. 

Ça signifie que, quand on a quelque chose à dire, on devient éloquent, on trouve les mots. Je pense que de base on l’est toutes et tous plus ou moins. C’est juste qu’on a institutionnalisé tout ça et on en a fait une sorte de monument qui est quasi impénétrable. Alors qu’en vrai l’éloquence ça se fait à chaque instant. 

Et pour ceux qui n’ont pas la parole et pas les mots, parfois ils peuvent être éloquent rien qu’avec un pas de danse, un regard… Il y a des regards qui valent mille discours. 

Que dire à ceux qui ne se sentent pas légitimes ou incapables, pour qu’ils aient confiance et réussissent à prendre la parole ?

L’idée déjà c’est de savoir pourquoi ils sont là. A partir du moment où on sait pourquoi on fait les choses, on trouve la force. On n’est pas là parce que quelqu’un nous l’a demandé, ni par hasard, ni par dépit. On est là pour une bonne raison. Et cette raison est bonne parce que c’est la nôtre. 

Par exemple, j’ai lu il y a pas longtemps l’Assassin royal. Vous allez me poser des questions sur l’assassin royal. Je l’ai lu, je le connais assez bien parce que ça m’a passionné, que j’ai payé tous les tomes, ça m’a coûté une blinde, et je suis à fond dedans. A chaque question que vous allez me poser, je vais avoir une réponse, et je vais prendre plaisir à répondre parce que ça me passionne. Il faut donc savoir de quoi on parle et avoir cette passion. 

Pour ce qui est question de légitimité, faut pas oublier un truc c’est qu’on est tous en roue libre sur la planète terre. Personne n’a la science infuse et la réponse à tout. Les gens font semblant, les gens croient savoir. On est donc toutes et tous légitime à tout. 

Il ne faut pas oublier que c’est des êtres humains en face de vous. Vous ne parlez pas à une institution, une idée mais à des humains. C’est le moment de leur parler, d’égal à égal. Ce sont des humains qui font des erreurs, des choix, qui n’ont pas la science infuse, qui sont potentiellement à l’écoute, qui peuvent être surpris, émerveillés de tout… En sachant cela, la question de légitimité ne se pose même pas. 

On est aussi légitime à ne pas savoir: ce n’est pas être bête ou avoir une lacune. Moi je le vois avec mes élèves la première choses qu’ils me disent c’est je sais pas et après ils répondent. Le “je sais pas” comme si c’était un bouclier, qui les rendait légitimes à répondre tout à coup. Ne pas savoir c’est pas un problème, c’est comme ça qu’on va chercher la connaissance. 

Oubliez cette question de légitimité parce qu’on est tous humains et égaux. Tant que vous vous exprimez, que vous êtes là pour nous parler pour de vrai, on sera toujours émerveillé par ce que vous dites. La série Petit secret entre voisins existe: on est fasciné par la vie. Votre vie est fascinante de base. Vous serez fascinant. 

Comment se préparer pour un oral / entretien ? 

• En amont, essayez de faire une sorte de prévisualisation. C’est-à-dire on se pose, on sait de quoi on veut parler, et on essaye d’imaginer, de voir comment ça va se passer. C’est important, c’est un travail de méditation.

• Ensuite réussir à gérer son souffle et sa respiration, on respire par le ventre. Il vaut mieux faire ça sur plusieurs mois. On emmagasine un maximum d’air dans ses poumons, on bloque l’air, on gonfle le ventre pour que l’air descende et ensuite on relâche. Cela permet de retrouver la respiration de base. Avec le ventre on emmagasine plus d’air, on peut parler plus longtemps et ça permet à l’esprit de se décharger d’un poids. L’esprit réfléchi mieux. Le côté de l’imagination, de l’improvisation, du répondant s’active. Ça permet au corps de ralentir le rythme cardiaque et de vous apaiser. Ça vous aide un peu.

• Juste avant, faire travailler les lèvres, faire en sorte de bien articuler ses mots, bailler très fort et bruyamment: ça ouvre les cordes vocales et ça permet d’avoir moins de glaires dans la gorge, de parler plus clairement et d’être audible, de mieux faire circuler l’air et le son.

• Attention à ce que vous mangez! Si vous mangez trop, vous serez en pleine digestion, vous allez avoir trop d’air en vous, envie de roter ou d’aller aux toilettes. Mangez peu mais mangez bien: une barre de céréales, un fruit… Buvez des boissons sans gaz.

• Ayez de l’eau avec vous! L’eau va vous permettre de prendre des pauses pendant votre prise de parole et d’agencer votre pensée. Quand vous buvez, buvez en petites lampées, pas en grandes gorgées.

• Sur le moment, n’hésitez pas à faire des pauses, à prendre les silences. Ça crée de la respiration pour vous et le jury. Si vous parlez trop vite, ça va passer au-dessus du jury, alors que si vous prenez des pauses, ça va permettre à tout le monde de se détendre et aussi vous permettre d’être moins stressé.

• Essayez de regarder tout le monde. 

• Ne pas hésiter à dire si vous vous trompez. Quand on prend la parole on ne peut pas rembobiner mais on peut rajouter des choses. Une erreur ça se corrige et ça nous permet d’apprendre.

• Si vous êtes debout, essayez d’être bien ancrés dans le sol. C’est une question de colonne d’air, de mécanique. Plus vous bougez dans tous les sens, plus vous avez du mal à respirer et vous risquez de finir essoufflé ou vous n’aurez plus de force dans votre voix.

• Parlez assez fort de manière à ce que tout le monde vous entende, montrez que vous êtes là et que vous en voulez, la motivation se dit mais se montre surtout.

• Attention aussi à comment vous vous habillez.  Il faut que vous ayez des vêtements dans lesquels vous vous sentez bien, dans lesquels vous vous dites “ok je veux bien être le centre de l’attention aujourd’hui”. C’est important.

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Un dernier mot ?

Le plus important quand on prend la parole c’est pas les conseils qu’on peut vous donner, c’est ce que vous avez envie de faire et de dire. Le plus important c’est qui vous êtes. Vous êtes vous, rien ni personne ne pourra changer ça, quand bien même on s’y évertue. Si il y a un truc à ajouter, c’est Shakespeare qui le disait et ça marche très bien, il disait “Mais soit fidèle à toi même avant tout”. Donc quoi qu’il arrive, soyez fidèles à vous-même avant tout, et tout ira bien. Surtout si vous arrivez à ne pas oublier en passant que la vie est belle. Parce que ça quand même, c’est très très vrai et ça fait du bien de s’en souvenir. 

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