Interview de Thomas Gomart, directeur de l’IFRI

Interview de Thomas Gomart, directeur de l’IFRI

Bonjour Monsieur Gomart, pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je m’appelle Thomas Gomart, je suis directeur de l’IFRI depuis 2015, et j’ai rejoint l’IFRI en 2004 en tant que chercheur. Historien de formation, j’ai beaucoup travaillé, au départ, sur la Russie et plus précisément sur l’espace post-soviétique. J’ai ensuite étendu mon domaine d’expertise aux questions énergétiques, numériques et aux risques géopolitiques.

J’ai passé un bac littéraire, puis j’ai intégré une classe préparatoire en khâgne pendant trois ans. Ensuite, j’ai fait des études d’histoire qui m’ont permis de devenir allocataire-moniteur, l’équivalent d’un Master 2 aujourd’hui. J’ai été classé premier de ma promo et j’ai pu avoir un contrat de 3 ans d’allocataire-moniteur. J’ai été boursier du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères à Moscou. J’ai ensuite fait mon post-doctorat au King’s College de Londres.

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Vous êtes titulaire d’un EMBA d’HEC, que vous a apporté ce diplôme ?

Cela fait partie des formations qui se font, en général, en parallèle de son activité professionnelle. Dans ma promo, le plus jeune avait 33 ans et le plus âgé en avait 55. La formation se passe en 18 mois, durant lesquels il y a notamment une semaine de cours bloquée par mois et plusieurs voyages à l’étranger : ce sont deux années très denses. J’ai suivi cette formation entre 2008 et 2010.

Il y a deux principaux EMBA en France, celui de l’INSEA et celui d’HEC. J’ai choisi celui d’HEC, car c’est celui de la transformation CPA, ce qu’on appelle le centre des affaires. On m’en avait parlé quand j’étais jeune, j’ai un parcours axé international et c’était important pour moi d’avoir une marque plus française qu’international dans mon parcours.

Vous êtes directeur à l’institut français des relations internationales, comment définiriez-vous votre entité ?

Le statut juridique de l’IFRI est particulier, c’est une fondation reconnue d’utilité publique à but non-lucratif : nous avons une mission d’intérêt général. L’IFRI est le principal centre de recherche en France sur les questions internationales, c’est un centre de recherche qui est privé. Les salariés de l’IFRI sont des salariés de droit privé.

Mon métier peut se diviser en trois tâches. La première est la direction au jour le jour d’une entreprise d’une cinquantaine de salariés, avec toutes ses règles de gouvernance interne. La seconde correspond à la recherche en permanence de fond, en particulier auprès des grandes entreprises. Enfin, la troisième consiste à produire de la recherche axée sur les politiques à travers des articles et des livres.

Pourquoi l’IFRI travaille-t-elle avec des entreprises ?

Parce que les travaux de l’IFRI participent à l’analyse de risque des entreprises. Nous sommes soutenus par des entreprises, car nous sommes le seul think thank à être présent dans le débat d’international, nous sommes également soutenus par les pouvoirs publics pour cette raison. De plus, on offre une aide à la décision en organisant beaucoup de publications et de débats, qui sont des occasions pour les entreprises de sociabiliser en dehors de leur réseau traditionnel.

En d’autres termes, nous aidons les entreprises sur leur stratégie hors-marché (non-market strategy), c’est-à-dire sur ce qui ne concerne pas directement le produit en tant que tel, mais sur ce qui concerne plutôt le contexte dans lequel ce produit est conçu et vendu.

L’IFRI aide ses partenaires à mieux aborder le contexte international et à mieux identifier les dynamiques possibles comme les ruptures probables.

Pourquoi avez-vous choisi le domaine dans lequel vous évoluez ?

Car je savais ce que je ne voulais surtout pas faire. En effet, je ne voulais pas être fonctionnaire, et je ne voulais pas travailler pour une grande entreprise. Je voulais faire de la recherche et écrire, sauf que je ne voulais pas être universitaire, le champ des possibles devenait étroit. J’ai ensuite rencontré l’IFRI et j’ai directement compris que je devais travailler ici.

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À quoi ressemble le quotidien d’un directeur de l’IFRI ?

C’est un métier très exigeant, parce qu’il faut être capable, dans la même journée, de gérer des problèmes très pratiques d’une entreprise, et de faire en même temps des interventions de haut-niveau auprès de décideurs. Je dirais que c’est un exercice de souplesse, d’endurance et de travail. Il faut sans cesse changer de niveau d’intervention : et c’est passionnant !

Avant de rejoindre l’IFRI, vous avez eu plusieurs autres expériences. Pouvez-vous nous parler de l’une d’entre elles vous ayant marqué ?

C’est celle qui correspond à ma génération : je fais partie la dernière génération à avoir fait son service militaire. Cela a été une expérience très formatrice et humaine. À l’époque, vous aviez un tiers d’une classe d’âge qui échappait au service militaire, et pour des raisons personnelles, je tenais à faire ce service. Les amitiés que j’ai nouées pendant cette expérience durent encore aujourd’hui. Plus largement, je pense qu’il est important de donner du temps à son pays.

Le 11 janvier, vous sortez un livre se nommant « L’accélération de l’histoire : les nœuds géostratégiques d’un monde hors de contrôle », pourquoi ce titre ?

Le livre est né en Mer de Chine. J’avais embarqué à Manille pour débarquer à Singapour, lors du trajet notre commandant a décidé d’accélérer pour trois raisons : devancer un typhon, semer un bateau chinois et rejoindre un ravitailleur américain. J’ai vu dans cette décision tactique le reflet d’une configuration géostratégique. Je définis l’accélération comme la multiplication des actions intentionnelles pour modifier le rapport de force stratégique, et c’est la raison pour laquelle j’ai choisi ce titre.

Comment donneriez-vous envie à notre audience de lire votre livre ?

Je vais vous donner trois raisons.

Premièrement, nous sommes dans un moment de transformation extrêmement rapide et profonde du système international. Ce qui est en train de changer est l’articulation entre le capitalisme global et les rapports de force stratégique. Quand on est étudiant en école, on doit intégrer cette dimension.

La deuxième raison est parce que j’ai essayé de faire des livres destinés à un grand public ouvrent à la fois des perspectives, et sont très informés.

Et enfin, c’est aussi parce que j’ai beaucoup de retours de jeunes lecteurs qui disent que mes livres les ont aidés à préparer les concours. J’espère également que mes livres les aideront à préparer leurs carrières professionnelles !


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Quels sont vos autres projets à venir ?

Pour l’IFRI, nous allons développer nos travaux en mobilisant des études qui reposeront sur de l’analyse de données au sens numérique du terme. Ensuite, nous allons développer de nouvelles thématiques de recherche, notamment sur l’Inde. D’un côté plus personnel, j’espère pouvoir continuer à voyager pour mieux comprendre le système international dans toutes ses dimensions.

Le mot de la fin

C’est le travail. Le plus important est de croire dans les vertus du travail et que vous choisissiez un travail qui convienne le mieux possible à vos qualités et à vos aspirations.