Interview de Mathilde Boulay, déléguée générale de L’Ascenseur, le premier tiers-lieu associatif d’égalité des chances en Europe
Rencontre avec Mathilde Boulay, déléguée générale du Collectif de L’Ascenseur, le premier tiers-lieu associatif d’égalité des chances en Europe.
Bonjour Mathilde, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai commencé ma carrière professionnelle dans les relations européennes et internationales, j’ai été ensuite consultante au sein d’un cabinet de conseil durant deux ans.
Par la suite, j’ai travaillé quelques années en cabinet de président d’université, où mes missions étaient centrées sur la recherche, la formation et l’innovation : je crois d’ailleurs profondément aux liens entre le monde de la recherche et le monde associatif.
En 2019, ma carrière a pris un tournant, avec ma prise de poste en tant responsable des partenariats dans l’économie sociale et solidaire au sein du Groupe SOS, sur des sujets de transition écologique et plus spécifiquement l’alimentation durable.
Actuellement, je suis déléguée générale du Collectif associatif, L’Ascenseur, dédié à l’égalité des chances.
Pour résumer mon parcours : j’ai travaillé dans le privé, le public et l’associatif. Aujourd’hui, je me destine à l’associatif et en particulier la lutte contre les inégalités, avec le Collectif de L’Ascenseur qui crée justement des ponts entre le public, le privé et l’associatif.
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Vous avez fait un master en Etudes européennes et internationales. Pourquoi ce choix ? Que vous a apporté ce master ?
Rappelons que j’ai commencé mes études par deux ans en Licence de Psychologie, je ne savais pas vraiment quoi faire après le Bac et j’avais très peu d’informations sur les orientations possibles (l’information sur l’orientation est d’ailleurs un sujet de travail majeur à L’Ascenseur). Je me suis vite rendue compte que cette filière ne me correspondait pas, c’est pourquoi j’ai décidé de faire une pause et de voyager un an en Australie, avec un PVT (Permis Vacances Travail) pour prendre du recul sur ce que je voulais vraiment faire, c’est-à-dire quelque chose qui m’anime : ce fût les Lettres Modernes, car je suis une grande lectrice et que j’adorais déjà les différents auteurs étudiés au programme.
En sortant de ma Licence de Lettres Modernes, je me suis rendu compte qu’il y avait peu d’emplois dans ce secteur et que je voulais m’ouvrir d’autres perspectives par la suite. Ainsi, j’ai fait mon Master en Etudes européennes et internationales, car il était pluridisciplinaire. Cela ouvre des portes assez vastes, sachant que je ne savais pas encore précisément ce que je voulais faire.
J’ai commencé à apprendre des choses que je n’avais jamais apprise auparavant : le droit, l’économie, les relations internationales et l’Europe. Parmi les membres de ma promo, certains sont partis à l’international, d’autres sont journalistes, urbanistes ou encore consultant etc. Ce cursus à ouvert une infinité de portes.
A savoir : durant ma carrière professionnelle, j’ai obtenu un second Master, en Management en IAE. En ce moment, je suis un cursus à l’EM Lyon en formation continue.
Vos deux stages de fin d’études se sont déroulés dans des institutions (Ministère des Affaires Etrangères et Organisation internationale de la Francophonie). Comment avez-vous trouvé vos stages et qu’en avez-vous retenu ?
Cela n’a pas été évident de trouver ces stages. J’ai fait mon stage de fin d’études à l’Organisation internationale de la Francophonie, car je voulais aller à la fois sur un volet international et sur la thématique des droits de l’Homme (une matière que j’avais beaucoup appréciée en M1) et j’étais par toujours autant passionnée par la littérature et la langue française. Afin d’obtenir ce stage, j’ai candidaté de manière spontanée à la Direction des Droits de l’Homme. Ma candidature a été retenue grâce à mon enthousiasme et ma motivation lors des entretiens. Comme quoi, même si nous n’avons pas toujours le profil « idéal », il est nécessaire de faire preuve d’audace et montrer notre motivation à un recruteur.
Lors de ce stage, nous organisions régulièrement des séminaires et colloques sur différentes thématiques. A l’occasion de ces grands temps forts, j’ai eu l’occasion de rencontrer une diversité d’intervenants. C’est lors d’un de ces événements que j’ai rencontré une personne travaillant au Ministère des Affaires Etrangères. Cela m’a permis de trouver un second stage au sein de cette institution et aussi, quelques années plus tard, mon premier emploi dans les relations internationales à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
A retenir : les stages doivent être un levier pour se créer un réseau. Il ne faut pas hésiter à aller vers toutes les personnes que l’on peut rencontrer, que ce soit les salariés en interne ou les intervenants externes, en étant audacieux.
Vous avez été consultante au sein du cabinet CGI pendant deux ans. Quelles étaient vos missions ? Comment se passe une mission ?
J’ai fait 2 ans sur le volet de la transformation des services publics. J’ai particulièrement apprécié la très belle dynamique d’équipe, avec un fort esprit collectif. Je voulais tester le fait d’avoir plusieurs métiers différents au sein d’une seule entreprise. En effet, j’avais en charge différentes missions pour plusieurs institutions, ce fût extrêmement formateur.
Avant d’obtenir une mission, il fallait rédiger une proposition pour remporter un marché et ensuite, nous faisions une première réunion de cadrage. Mon rôle était de faire le lien entre les personnes qui travaillaient au quotidien sur la partie « métier » et les développeurs du pôle informatique, afin que ces deux mondes se comprennent. Cela est assez complexe, car leur langage professionnel est très différent. J’ai par exemple travaillé pour la communauté d’agglomération Plaine Commune et de la ville de Saint-Denis, sur un projet de développement d’applications permettant d’aider les aides à domicile de la Mairie de Saint-Denis à organiser leurs prestations. Cette mission a duré quelques mois et a été ponctuée de plusieurs points d’étapes, avec les différentes parties prenantes du projet afin d’avancer toujours dans la bonne direction.
Votre parcours fait clairement ressortir un attrait certain pour la gestion de projet. Qu’est-ce qu’un bon chef de projet selon vous. Quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?
Un bon chef de projet aura la capacité de comprendre les besoins de chacun. Dans un projet, tout le monde a une finalité différente. Le rôle du chef de projet est d’embarquer toutes les parties prenantes dans la même direction.
Il doit être à l’écouter de chacun et très rigoureux vis-à-vis du but d’atteindre et les grands objectifs du projet, grâce à un rétroplanning par exemple (durée, gestion du temps, vision 360 du projet, etc.). Un bon chef de projet doit aussi avoir une vision qu’il souhaite imprimer au projet.
A partir de 2019, votre carrière s’est orientée dans le milieu associatif. Vous avez été pendant 3 ans responsable du développement chez le groupe SOS. Pourquoi ce changement de cap ? Quelles sont les différences et points communs entre le milieu de l’entreprise et celui associatif ?
J’ai beaucoup travaillé au service de l’intérêt général, et j’ai eu à cœur d’approfondir mon engagement. Ce « changement de cap » s’est fait au cours d’un voyage lors duquel les inégalités sociales m’ont touchée de plein fouet et m’ont révoltée. Je ne pouvais plus ne pas m’engager.
Le Groupe SOS a pour habitude de mettre le fonctionnement de l’entreprise au service de l’ESS, ce qui permet de travailler sur le mode de l’entrepreneuriat social. En effet, une association produit de la valeur sociale et donc économique sur le long-terme. (Par exemple, quand nous aidons un jeune décrocheur, à raccrocher, cela permet d’économiser 230 000 euros pour la société).
Je m’occupais des partenariats dans le secteur de la transition écologique, un secteur qui était en 2019 encore récent, avec une forte croissance. Je devais aller chercher des partenaires financiers (mécénat d’entreprises, réponse à des appels à projets ou co-construction de partenariats) pour des associations, sur des sujets liés à l’alimentation durable. Les métiers du partenariat en association sont très demandés et rémunèrent le mieux.
A savoir : dans l’ESS, les personnes travaillent beaucoup, car elles sont très engagées dans ce qu’elles font et dédient leur travail à une cause.
Actuellement, vous êtes déléguée générale de l’Ascenseur. Que fait concrètement l’Ascenseur ?
Nous sommes un collectif d’associations qui fédèrent des associations autour de la lutte contre les inégalités, notamment le déterminisme social. Nous agissons principalement en faveur de l’inclusion des jeunes. L’objectif est que les associations se croisent plus, pour qu’elles montent des projets communs, à travers des ateliers, formations, etc. pour accompagner au mieux les bénéficiaires. Nous créons aussi des passerelles entre le public, le privé et l’associatif.
Notre mission principale est de porter notre plaidoyer sur l’égalité des chances auprès des entreprises et des pouvoirs publics, pour faire bouger les lignes durablement, mettre ce sujet au cœur du débat public et inciter les entreprises à s’engager et engager leurs salariés pour accompagner un maximum de jeunes à mieux s’insérer.
Le chiffre en plus : Rien que dans nos locaux de Paris-Bastille, nous avons 20 associations, qui accompagnent 520 000 bénéficiaires.
Quels sont les projets pour l’Ascenseur ?
Au total, nous fédérons près de 100 associations et donc nous sommes à la recherche d’un lieu plus grand, pour augmenter le nombre d’associations hébergées, accueillir plus de bénéficiaires et d’événements, afin de donner la parole aux jeunes, aux institutionnels et aux entreprises. Ce lieu permettrait également de former les salariés aux enjeux de l’égalité des chances.
Ensuite, nous avons un projet intitulé « Les rencontres de l’Ascenseur » pour lequel nous nous déplaçons en France et au-delà pour présenter notre modèle collectif et écouter ce qui se fait sur place. Nous serons par exemple à Bruxelles début avrril dans un tiers-lieu associatif (L’Inclusion Lab), afin d’évoquer comment les dynamiques collectives s’inspirent mutuellement à échelle européenne.
Par ailleurs, nous développons le projet « Génération Ascenseur », qui accompagne une promotion de 25 jeunes, passés par des associations de L’Ascenseur, pour réaliser un projet ou les aider à avoir de grandes carrières. Cela passe par du coaching avec des décideurs, de la mise en réseau, de la formation, des prises de parole en public, etc.
Des conseils pour des étudiants intéressés par le monde associatif ou de créer leur association
Pour ceux qui veulent créer leur association, il ne faut pas hésiter à se faire accompagner par des associations existantes ou par un mentor. Si vous voulez travailler dans l’associatif, je vous conseille de vous renseigner sur ce qui vous intéresse dans l’associatif : la transition écologique, les réfugiés, l’égalité femme-homme, la précarité, les seniors, les jeunes des milieux populaires, etc. Il faut aussi regarder la fiche de poste du métier souhaité, car comme en entreprise, tous les métiers sont possibles : événementiel, communication, juridique, financier, RH, etc. La taille de la structure (il faudra être plus flexible si elle est petite) est aussi à prendre en compte.
A noter : n’hésitez pas à échanger avec des personnes travaillant au sein d’associations, cela permet de comprendre leur quotidien, les aspects positifs et négatifs. Un service civique et un stage sont aussi une bonne rampe de lancement pour intégrer une association.
Le mot de la fin
Il ne faut pas hésiter à aller voir ce qu’il se passe dans le monde associatif. En effet, ce monde est méconnu et souffre de nombreux préjugés. De très beaux métiers existent et vous travaillerez avec des personnes formidables et très engagées.
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