- ACTU ÉCOLES INTERVIEWS
- Téo Perrin
- 20 mars 2022
Interview d’Idriss Aberkane – retour sur son parcours
Personnage médiatique de ces dernières années, Idriss Aberkane s’est surtout fait connaitre pour ses conférences autour du développement personnel et sur la neuroscience. Il revient pour Planète Grandes Ecoles sur son parcours et sa vision de l’enseignement supérieur.
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Pourriez-vous revenir sur votre parcours pour nous ?
Alors il faut d’abord dire que je fais partie de la dernière génération d’étudiants sans les classements, et ce détail est important, sinon je n’aurais pas fait le même parcours.
Au début, j’ai donc fait une fac à Orsay ( Paris XI ), tout en préparant le Second Concours de l’ENS. Or, ce concours a été supprimé l’année où je devais le passer, je suis donc rentré à l’ENS ULM sur dossier, comme prédoctorant. Et là, c’était le premier contact avec la dépression. J’ai donc décidé de partir faire un stage à Cambridge, puis j’ai envoyé de nombreuses candidatures dans des universités aux Etats-Unis. J’ai finalement été invité comme Visiting Scolar à Stanford, à l’âge de 20 ans.
Je suis ensuite revenu en France pour intégrer Polytechnique et préparer ma thèse en science de gestion, soutenue à l’université de Paris-Saclay.
Comment se positionnent les grandes écoles françaises à l’international ?
Je crois qu’il y a deux vitesses en France. D’une part, les écoles de commerce qui ont saisi le tournant de la mondialisation et ont fait preuve d’adaptation. Elles ont compris que leur nom devait être rattaché à une certaine image, et qu’il fallait qu’elles se fassent une renommée.
De l’autre, beaucoup d’écoles comme Normale Sup ou Polytechnique n’ont pas saisi ce tournant. Elles sont restées dans la mentalité de l’exception française. Cependant, force est de constater que cette exception n’est, malheureusement pour elles, pas perçue et partagée à l’internationale.
Aujourd’hui les classements se font à Shanghai et la concurrence est mondiale. C’est ce qu’il faut garder en tête.
Pour vous, il est important de revoir la culture des Grandes Ecoles, c’est à dire ?
Aujourd’hui les Grandes écoles françaises dénigrent trop l’enthousiasme. Or, pour moi, c’est par l’envie et la motivation qu’on arrive à exceller et à s’investir dans une formation.
Si vous voulez, le modèle actuel est sous la forme d’un échange. L’élève arrive avec son enthousiasme et repart avec des compétences. Au final, vous avez des amateurs passionnés qui se transforment en professionnels blasés.
Il faut plutôt adopter une logique de croissance, c’est-à-dire que l’élève arrive avec son enthousiasme, le garde pendant sa scolarité, tout en acquérant des compétences. C’est le défi des Grandes Ecoles aujourd’hui.
Il faudrait également inverser la logique des Grandes Ecoles, pourriez vous expliquer cette idée ?
Il y a cette vision qu’un humain n’est grand que parce qu’il a fait une grande école. Pour moi, c’est une idée à déconstruire : la richesse des grandes écoles, c’est précisément les élèves qu’elles accueillent. Philosophiquement, un humain peut créer une université, mais une université ne peut pas créer d’homme. De Gaulle disait que « l’homme donne mesure à sa récompense ». Quelle que soit l’école, c’est la richesse des élèves qui fait sa grandeur, et non l’inverse.
Ce faisant, les élèves deviendront les meilleurs ambassadeurs de leurs écoles. Prenez l’exemple d’Elon Musk, c’est le plus grand ambassadeur de l’Université de Pennsylvanie. Et je suis convaincu qu’il l’est devenu parce que l’université lui a permis de s’épanouir et de conserver cette envie en lui. C’est peut-être la conséquence du modèle américain, comme l’élève paie, l’université ne peut se permettre d’aller à contre-courant de son « client ». Cette philosophie est pour moi une réussite.
Y-a-t-il un lien avec la maladie du « reste à ta place » française ?
C’est effectivement le constat qui découle de la situation actuelle. Le meilleur exemple se voit dans les Français qui cartonnent à l’étranger. Souvent ils n’ont pas le parcours idéal pour réussir en France, mais par leurs compétences ils réussissent à l’international.
Aujourd’hui, pour s’élever en France, il faut avoir le bon CV, et peu importe les compétences ou le savoir être de la personne. C’est ce que j’appelle la « maladie française ».
A l’inverse, aux Etats-Unis vous pouvez accéder à la direction d’une grande entreprise sans avoir fait Harvard. Le meilleur exemple est Elon Musk qui a quitté Stanford après une semaine, car il avait compris qu’il se ferait chier.
Aujourd’hui vous faites beaucoup de vidéo sur votre chaine Youtube, pourquoi est-ce important pour vous ?
Je suis fasciné par la transition post-académique, il y a une forme de « Silliconvalleisation » du monde. La connaissance devient accessible pour tout le monde et internet a révolutionné les formes d’apprentissage. Pour garder mon exemple de Musk ; c’est plutôt un enfant de la méritocratie américaine, a abandonné son doctorat de Stanford. C’est le produit de cette culture du dropping-outing très présente aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, Musk vous dit « j’élève mes enfants sur Youtube », et je crois qu’il va arriver un moment où tout le monde fera ça. Ce constat est d’autant plus vrai aux USA, où les cours en distanciels se combinaient à des prix de formation exorbitants. Or, avec 300 000$, vous pouvez planter 4 boites et ça vous apprendra beaucoup plus que 3 ans sur les bancs d’une université. C’est donc pour cette raison que je suis sur Youtube ; c’est une manière de porter ma voix de manière libre.
Depuis, 2014 vous parlez de guerre froide 2.0, l’actualité vous donne raison ?
Le terme ne vient pas de moi, mais a été inventé par beaucoup de chercheurs. La guerre froide 2.0 est théorisée pendant le double véto russo-chinois sur la question syrienne. C’est l’idée que la guerre est rétroactive, avant elle était cachée, mais en réalité elle ne peut être niée. C’est vrai depuis 1999 et la Yougoslavie, et encore plus depuis 2003 avec l’Irak. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu à cette époque un axe Paris-Berlin-Moscou. C’est à cette date que la Russie s’est posée comme opposante majeure aux Etats-Unis
Aujourd’hui, la guerre en Ukraine s’inscrit dans cette trajectoire. Deux grandes puissances s’associent pour renverser la grande puissance, c’est un peu le piège de Thucydide.
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