- ENTREPRENEURIAT INTERVIEWS TOURISME
- Elise Casado
- 27 février 2023
Call me Mami Hostal : quitter la finance pour lancer une entreprise en Colombie
Après avoir obtenu un diplôme de GEM et travailler plusieurs années en finance, Thomas Quintreau Musci s’envole pour Medellín où il crée Call me Mami Hostal. Après avoir découvert la Colombie lors de son année de césure à GEM, il décide d’y retourner pour s’y installer et créer une startup. Découvrez son parcours et l’aventure dans laquelle il se lance avec Call me Mami Hostal !
Lire plus : Comment bien choisir sa destination pour un échange universitaire en Amérique latine ?
Bonjour Thomas, peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Bonjour, je m’appelle Thomas, j’ai 26 ans et j’ai grandi à Niort dans les Deux-Sèvres (ex Poitou-Charentes). A l’âge de 20 ans, après un bac et un DUT GEA obtenu dans la douleur, je m’essaie à une licence STAPS à Cergy Pontoise. Je la valide mais décide de me réorienter par manque de visibilité sur les débouchés professionnels. Une amie me parle alors des écoles de commerce. Je prépare en 56 jours le concours Passerelle et par chance et détermination, je suis retenu pour entrer à Grenoble Ecole de Management (GEM).
Là-bas, je me spécialise dans l’entrepreneuriat et les nouvelles technologies. J’intègre l’association GEM Entreprendre à l’année de sa création et réalise mes stages en startups et acteurs de l’accompagnement tech. En dernière année de master, j’opte pour l’option finance. Je finis par lier mon engouement pour les technologies et mes nouvelles compétences en finance : me voilà leveur de fonds. Après 3 ans dans l’écosystème de la finance, je décide de tout quitter pour m’installer dans une favéla colombienne et lancer Call me Mami Hostal.
Qu’est-ce qui t’a amené en Colombie ? Et qu’as-tu pensé de ton expérience au sein de ce pays ?
J’ai foulé le sol colombien pour la première fois en juillet 2019. C’était la conclusion d’une année de césure effectuée dans le cadre de mon master à GEM. Ce fut un coup de cœur, de loin le meilleur pays que j’ai eu la chance de visiter. La Colombie, c’est une merveille. Il faut le voir pour comprendre. Ce pays a une faune, une flore, une histoire, une géographie, un climat, une population et une énergie dont il est difficile de trouver pareille comparaison. Il n’est pas rare que, lorsqu’on pose la question à un backpacker ayant visité plusieurs pays d’Amérique du Sud, la Colombie revienne comme le graal.
Après avoir travaillé en finance, tu as créé Call Me Mami Hostal en Colombie. Peux-tu nous expliquer ce qui t’a poussé à changer complètement de carrière ?
J’ai suivi mon instinct qui, jusqu’à présent, m’a guidé habilement. J’ai quitté la finance et les sciences mais je conserve en dénominateur commun d’œuvrer pour le progrès. Non technologique, mais humanitaire. J’ai adoré appliquer mes connaissances en finance entrepreneuriale mais le devoir m’appelle avec Call me Mami Hostal. Lutter contre la pauvreté, selon l’ONU, c’est le plus grand défi de ce siècle pour sauver le monde (ODD n°1).
Call me Mami Hostal est une association à but non lucratif que je lance en Colombie. Nous sortons des familles monoparentales colombiennes de la précarité au travers l’hébergement de voyageurs dans une favela apaisée de Medellin. Notre premier objectif est donc de lutter contre la pauvreté.
Enfin, au-delà du projet, j’ai fait ce choix pour Blanca Ospina et ses deux enfants, avec qui je me suis installé à Medellin. Une seconde famille pour moi. Ils m’ont en quelque sorte adopté lors de mon passage en Colombie et j’ai fait de même. On mène ce chantier social ensemble. Ici, j’ai mon projet, mon ambition, mon impact, mes repères, des amis et de la famille : beaucoup de piliers pour une vie saine et heureuse !
Quel est ce chantier social ? Quels sont vos objectifs avec Call me Mami Hostal ?
Comme je l’ai dit, notre objectif premier est de lutter contre la pauvreté. Nous souhaitons aussi rendre le tourisme responsable attrayant et accessible à tous. Chaque voyageur est unique et peu de séjours se ressemblent en termes de moyens, temps et désirs de découverte. Call me Mami Hostal permet à toutes et à tous d’expérimenter très facilement et avec plaisir le tourisme responsable avec nos nuits authentiques et solidaires.
L’idée est également de rapprocher les voyageurs de la réalité des locaux du pays hôte. En effet, nous souhaitons atténuer l’empreinte d’un long voyage par l’entraide et le partage. Le secteur du tourisme est un fort émetteur de gaz à effet de serre. Il est aussi un conduit économique puissant des pays développés vers les pays en développement. Pour une empreinte carbone donnée (négative), le voyageur devrait maximiser son impact social (positif). Call me Mami Hostal équilibre les séjours à l’étranger, d’une logique de surconsommation à une logique d’entraide corrigeant les inégalités, une action indispensable pour sauver le monde.
Tu le dis toi-même sur LinkedIn, la Colombie a une image très négative et dangereuse en France. Qu’est-ce que la réalité de la vie à Medellín ?
Il est important de distinguer le passé du présent car la Colombie et surtout la ville de Medellin sont l’exemple que de profondes transformations sont possibles ! Medellin était terriblement dangereuse dans les années 80/90 et ce jusqu’aux années 2008/2010. En France, la Colombie est synonyme de drogues, FARC, enlèvement, Ingrid Betancourt et Pablo Escobar.
Or, la favela dans laquelle je me suis installée était, jusqu’à 2010, inaccessible. Dans la Comuna 13, on te tuait par balle pour avoir franchi une frontière invisible. La guerre entre bandes armées rivales d’un quartier à un autre a causé des pertes humaines importantes. La quasi-totalité de mes voisins et amis ici ont perdu un proche ou ont un proche qui a perdu quelqu’un. C’est le passé tragique de la Comuna 13. C’est aussi ce qui a mené à sa merveilleuse métamorphose.
Aujourd’hui, je me sens 100 x plus en sécurité à Medellín qu’à Grenoble par exemple. Ça parait fou, mais c’est réel. Pas un seul sentiment d’insécurité ressenti sur après 15 semaines ici. Les gens sont respectueux.
Lire plus : La transformation de Medellín : un modèle pour la Colombie
Tu es diplômé de Grenoble École de Management. Considères-tu que ton diplôme et tes études t’ont aidé dans le lancement de Call me Mami Hostal ?
Tout à fait oui. Ce serait ingrat d’affirmer le contraire. Pour ma part, je considère que GEM m’a tiré vers le haut. Elle m’a permis de grandir en tant que personne, développer de nouvelles compétences et rencontrer les bonnes personnes. Sans elle, je n’aurais pas été leveur de fonds par exemple. Mais pour se lancer dans une aventure entrepreneuriale, c’est différent. Il faut être débrouillard, passionné et prêt à ne pas compter ses heures ! Ce sont des qualités intrinsèques à une personne qui s’enseignent difficilement sur les bancs de l’école à mon sens. Pour ma part, ces études m’ont davantage donné les moyens de mes ambitions.
Elles ouvrent aussi des portes et te font accéder à du réseau. Ces lignes pour cette interview le prouvent ! J’étais tellement loin de ce monde des grandes écoles, des prépas… Lorsque tu viens de province, loin du monde de la capitale, je pense qu’elle joue son rôle d’ascenseur. J’en témoigne. Je suis reconnaissant envers GEM de s’être ouverte à des profils différents comme le mien.
Combien de « Mamis » participent aujourd’hui à cette aventure ? Et quels sont leurs retours jusqu’à présent ?
Il y a une Mami qui reçoit des voyageurs et exerce l’activité d’hôte : c’est Blanca. Il faut comprendre qu’au départ, Call me Mami Hostal n’est qu’une réponse à une question que je me posais : comment permettre à cette mère au foyer à qui je tiens énormément de s’en sortir par elle-même en la rendant autonome financièrement, via une activité qu’elle peut exercer depuis chez elle ?
Blanca et ses enfants vivent entièrement des revenus Call me Mami Hostal. Pas de contrainte de transport et de garde des enfants, tout se passe à la casa. Et elle en est épanoui ! Ses enfants également ! Ils sont ravis de rencontrer du monde. Ils deviendront très probablement bilingues, si ce n’est trilingues. Chaque jour, ils découvrent le monde sans même dépendre d’un voyage qui en fait le tour.
Si on parle en chiffres, Blanca a gagné en 4 mois l’équivalent de 8 SMIC colombiens, elle a reçu 84 voyageurs pour un total de 169 nuitées. Ma plus grande fierté est de me dire que cette famille est sortie de la misère grâce à ce dispositif. C’est fou !
Une autre fierté : l’ensemble des visiteurs nous recommandent. Pas un avis moyen ou négatif sur 84 ! Nombreux sont devenus des ambassadeurs, ils offrent des cadeaux aux enfants, réalisent des vidéos pour nous, nous aident à communiquer sur le projet.
L’hospitalité exceptionnelle qu’offre Blanca réveille ou catalyse l’altruisme de nos clients, qui sont de nouveaux amis. A terme, Call me Mami Hostal ambitionne de sortir de la pauvreté et stabiliser financièrement des centaines de foyers. Cela commence déjà à s’étendre au voisinage et au quartier tout entier ! Les petits commerces profitent véritablement de la venue des touristes.
Tu es à la recherche de dons pour soutenir et faire connaître Call Me Mami Hostal. Comment utiliserais-tu cet argent ?
Nous avons lancé un appel aux dons il y a environ 2 mois et nous avons atteint 10% de l’objectif. Loin du but, mais c’est déjà une fierté. La campagne est toujours ouverte, j’invite donc les lecteurs à ce geste altruiste très précieux pour nous. Chaque don, même modeste, nous permet de venir en aide à d’autres familles. Il y a encore trop de bouches à nourrir ici et de faim-anxiété.
Pour chaque nouvelle casa qu’on lance il faut investir dans des lits, des matelas, des draps, des couvertures, des serviettes de douche, dans de l’électroménager de base, machine à laver, réfrigérateur, micro-onde… Jusqu’au wifi ! Il y a en fait un coût de lancement par casa qui est indispensable. Même si les voyageurs viennent pour une expérience immersive et authentique chez l’habitante, ils apprécient le confort minimal assuré par Call me Mami Hostal.
Comment vois-tu l’avenir de Call Me Mami Hostal ?
Très positivement. J’ai énormément d’ambition dans ce projet. Beaucoup de valeur est perçue dans ce que nous proposons. Les retours et premiers résultats parlent d’eux-mêmes.
La seule réelle menace est extérieure à mon sens. Ce serait une chute du secteur du tourisme international en cas d’un nouvel épisode de COVID par exemple. Cela impacterait négativement l’ensemble des acteurs de la chaîne locale du voyage.
Un mot pour la fin ?
Aux lecteurs et lectrices de l’article, merci pour l’attention que vous m’avez accordée. Soutenez-nous au travers de cette cagnotte solidaire ici, je vous en serai très reconnaissant. Rendez-nous visite ou parlez de nous à votre entourage. Vous pouvez aussi me contacter sur mon profil LinkedIn.
Lire plus : Quelles sont les questions à se poser avant de partir à l’étranger ?