Blocus de Grignon : les étudiants d’AgroParisTech témoignent

Blocus de Grignon : les étudiants d’AgroParisTech témoignent

Depuis le 15 mars, le site de Grignon de l’école AgroParisTech est bloqué par les élèves. Leur objectif : contester le processus de vente du site et sa privatisation. Aujourd’hui, en relation avec les quatre acheteurs potentiels, les étudiants espèrent pouvoir influencer leurs projets pour Grignon et préserver une partie des lieux. Pour comprendre un peu mieux ce blocus, nous sommes allés à la rencontre de quatre élèves, dont un des initiateurs, qui témoignent.

 

Comment se passe la vie sur le campus ?

C’est assez bien organisé. Les cours sont maintenus pour la plupart, certains y vont, d’autres non. Ceux qui ne vont pas en cours se consacrent complètement à l’organisation du blocus. Celle-ci est divisée en plusieurs pôles : le pôle communication qui gère les contacts avec la presse, le pôle logistique qui s’occupe des barricades et des tours de garde, le pôle soutien qui se tient à disposition des étudiants qui en ont besoin, et le pôle cuisine qui prépare à manger aux chercheurs et à ceux qui ne peuvent pas cuisiner, le restaurant universitaire étant fermé. Je suis au pôle soutien. On essaye de créer du lien entre les étudiants et les empêcher de rester seuls, surtout ceux qui vivent plutôt mal le blocus. Pour ça, on a fait des repas d’étages, des échanges de lettres et du porte à porte pour s’assurer que tout le monde tenait le coup.

Personnellement, je le vis très bien et c’est le cas de beaucoup d’entre nous. Le problème c’est que le blocus a renforcé les inégalités de bien-être au sein de la promo. Certains se sont intégrés, d’autres se sont renfermés, explique un étudiant de première année. Pourtant, la plupart de ceux qui étaient contre le blocus sont partis dès le début, globalement ceux qui restent le soutiennent.

La vie sur le campus est plutôt calme, maintenant, on ne fait pas de soirées et on essaye de respecter les gestes barrières. En l’absence de l’administration on est beaucoup plus libres, mais on a signé une charte, au tout début, pour assurer qu’on ne mettrait pas en danger notre mobilisation à cause d’une mauvaise image. On n’est pas là pour faire des soirées.

Tous les soirs, on organise des AG pour discuter des modalités du blocus et on vote pour savoir si on le poursuit ou non. À chaque fois, on est près de 270 étudiants, c’est du jamais vu. Si on m’avait dit que je verrais autant d’agros écouter un discours de Clémentine Autain – députée de la France insoumise- pour soutenir notre action et nos revendications… Ce blocus a changé beaucoup d’entre nous. Quand on commence à désobéir on comprend qu’on peut avoir un pouvoir fou, on commence à réfléchir à notre place dans la société.

Comment s’est organisé le blocus ?

On y réfléchissait depuis deux mois, au début on n’était que deux, explique un des initiateurs du blocus, on se disait qu’on ne pouvait pas laisser Grignon sans rien faire, mais on n’avait pas beaucoup de temps. Il fallait agir vite, avant le 26 mars, jour du dépôt final des offres d’achat. Le problème, c’est qu’il y a déjà eu des contestations en 2018, de la part des élèves mais aussi des enseignants-chercheurs, seulement elles n’avaient pas abouties. Alors on s’est dit qu’il nous fallait quelque chose de fort, et un blocus c’était du jamais vu à l’agro.
Mais on ne savait pas si ça parlerait aux premières années. Avec le Covid, ils n’ont pas pu connaître Grignon comme les promo précédentes, on ne savait pas à quel point ils y étaient attachés. La seule chance pour que ça fonctionne, c’était de leur présenter des arguments fondés, s’inscrire dans un contexte. J’ai fait beaucoup de recherches, j’ai essayé de mieux comprendre le processus de vente et le profil des acheteurs. Rien n’avait vraiment été expliqué aux élèves, on manquait cruellement d’information.
Et puis jeudi 11 mars, je suis allé à Grignon et j’en ai parlé avec quelques premières années, en petit comité parce qu’il ne fallait pas que ça fuite. Ils ont tout de suite été motivés par l’idée, mais le travail était monstrueux et on devait agir dès le lundi suivant. Pendant quatre jours, on a pas arrêté, on a récupéré des parpaings pour les barricades, du fumier pour recouvrir une des sorties de Grignon… Et puis le lundi, on a organisé une assemblée générale dans le gymnase. Tout ce temps, je ne pensais pas que ça marcherait, mais quand j’ai vu les 270 étudiants qui attendaient devant l’entrée, j’ai commencé à y croire.
On a tenu l’AG dans le noir, clandestinement. Je leur ai expliqué le principe du blocus, puis on a fait un vote. Là c’était dingue, le blocus a été voté à 82% des voix. Immédiatement, on a organisé les pôles et les groupes qui agiraient.
Le soir même, on barricadé toutes les entrées avec du ciment et des parpaings. Puis à 4h du matin, on a fait sortir le gardien de la loge en simulant un malaise. Il était hors de question d’employer la violence.
Une fois le gardien sorti, on a pris la loge pendant qu’un groupe murait le grand portail. Les gendarmes sont arrivés quelques minutes plus tard, mais ils ne pouvaient rien faire. Ils ne peuvent pas entrer sans l’accord du directeur du site, et la barricade était terminée. On a su qu’on avait gagné.

Au début, c’était plutôt angoissant, témoigne une première année, on ne savait pas si la police allait intervenir. Maintenant, ça s’est calmé, on sait que la police n’interviendra pas. La pression retombe et  on a confiance en ceux qui organisent. On a même eu des cours de désobéissance civile pour savoir comment agir de façon non-violente en cas d’intervention policière. Et les soutiens qu’on a reçu nous rassurent. On sait qu’on a rien à se reprocher, on agit pour une cause qu’on ne peut pas contester.

Pourquoi se battre pour grignon ?

C’est une bataille pour grignon mais aussi un symbole : on se bat contre la privatisation. On veut montrer que, même pour un hectare de terre, il faut lutter pour le préserver. On veut montrer qu’il y aura toujours des gens pour essayer de protéger Grignon, au nom de toutes les autres terres qui pourraient être privatisées.

Les principaux arguments, ce sont les 200 ans d’histoire du site, la biodiversité et les terres agricoles qu’il abrite, mais il y a aussi les souvenirs qu’on a pu avoir ici, qu’on put avoir tous les étudiants d’AgroParisTech avant nous. On veut que le site continue d’être utilisé pour développer l’agroécologie et la recherche. On ne veut pas que le plan local d’urbanisme soit modifié.

J’ai lu une citation du cercle des élèves écrite après la première guerre mondiale : « Dans les heures noires alors que [l’admin] fera des siennes qu’ils relisent quelques pages de ce livre, ils verront combien leurs anciens luttaient pour conserver leur liberté si chère et leurs vieilles traditions qui unissent si étroitement tous les Grignonais. » . J’ai su que je ne pourrais plus jamais me regarder en face si je ne faisais pas quelque chose pour grignon, explique un première année. On a jamais été écouté par le ministère et pourtant, ceux qui ont le plus à perdre, finalement, c’est nous, les élèves.

3 mots pour définir Grignon : 

Espoir, parce que Grignon est un endroit qui cherche à développer l’agroécologie, à aller vers un monde plus durable. Je dirais aussi potentiel et valeur.

Je dirais Amour, incroyable et grignonite ( parce que le rhume c’est quand même l’emblème de la vie grignonaise)

Emerveillement, parce que Grignon est incroyable par son architecture, son château, sa forêt, sa nature… Respect aussi, parce qu’on ne peut pas jouer avec cet endroit comme on veut. Et enfin, bienveillance. Ici, il n’y a pas de pression sociale, mais de la considération pour tous, pas de leader. Cette bienveillance vient des gens mais aussi du cadre si serein de Grignon.