Les banques, grandes oubliées du changement climatique

Les banques, grandes oubliées du changement climatique

Le 23 février 2023, OXFAM France a assigné BNP Paribas en justice pour manquement à son « devoir de vigilance ». C’est la première fois qu’une telle action en justice est intentée : la confédération d’une vingtaine d’ONG reproche à la plus grande banque européenne « ses soutiens financiers à l’expansion des énergies fossiles ». Si cet acte juridique peut surprendre, il est en réalité révélateur du rôle des banques dans la transition énergétique, le contrôle des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), et plus généralement, la protection de l’environnement.

En effet, les émissions induites par les investissements des 6 plus grosses banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, Groupe BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Banque Postale) produisent 7.9 fois plus de tonnes équivalent CO2 que l‘ensemble du territoire Français, selon le rapport « Banques : des engagements climat à prendre au 4e degrés » d’OXFAM France. Ce titre fait référence aux risques que font peser les investissements dans des énergies fossiles, qui semblent nous mener vers 4°C ou plus de réchauffement climatique d’ici 2100.

 

L’impact environnemental indirect des banques

Pour identifier les émissions directes et indirectes d’une entreprise, les experts utilisent différents « scopes », qui sont des périmètres d’analyse.

  • Les scopes 1 et 2 évaluent les émissions de GES engendrées par la production d’un produit.
  • Le scope 3, qui nous intéresse dans le cas des banques, regroupe les émissions indirectes, comme celles induites par les achats de l’entreprise, ou l’utilisation faite par ses clients de ses biens et services par exemple.

Or, les crédits et placements des banques ont tous peu d’influence sur les scopes 1 et 2, mais sont lourds de conséquences au vu du scope 3. Sur la base des données fournies par Carbon4Finance, en moyenne, 81% des émissions de CO2 des 6 plus grandes banques françaises résultent des financements ou investissements dans des entreprises polluantes.

 

Les résultats du classement des banques d’OXFAM

Selon la méthode de calcul d’OXFAM, les émissions estimées des banques en équivalents CO2 sont ;

  • BNP Paribas ; 1 112 millions de tonnes
  • Société Générale ; 857 millions de tonnes
  • Crédit Agricole ; 659 millions de tonnes
  • Crédit Mutuel ; 270 millions de tonnes
Nombre de tonnes équivalents CO2 émises par les banques selon le classement OXFAM.

Toutes ces banques sont signataires de l’accord de Paris sur le climat de 2015. Pourtant, en moyenne, 40% du portefeuille de crédit de BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE est accordé à des entreprises actives dans le secteur du pétrole et/ou gaz.

Sur la base de ces chiffres, il est possible de quantifier l’impact environnemental de l’épargne d’un client. Ainsi, en laissant 25 000€ chez BNP Paribas pendant un an, un épargnant pollue autant que 9 trajets aller-retour entre Paris et New-York (en tonnes équivalents CO2). Avec la même somme à la Société Générale, un client génère indirectement autant de CO2 que 6 appartements avec une chaudière à gaz sur un an. Au Crédit Agricole, 10 000€ « émettent » autant de CO2 que l’alimentation d’un Français pendant 2 ans. 

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Une méthodologie de classement des banques qui fait débat

Pour autant, les banques ont mentionné plusieurs défauts concernant le rapport d’OXFAM dans leur droit de réponse :

  • Les données utilisées datent de 4 à 6 ans, ce qui peut poser problème au vu de l’évolution rapide des politiques dans le domaine. En effet, les banques ont changé leurs portefeuilles d’investissement ces dernières années, ce qui n’a donc pas été pris en compte. OXFAM projette dans son rapport que les banques continueront leur activité de la même manière jusqu’en 2100, hypothèse discutable. De nombreuses banques ont pris des engagements ces dernières années, dont les résultats ne seront visibles que dans la prochaine décennie. 
  • Du fait de l’opacité des placements des banques sur les marchés financiers, OXFAM a dû procéder à une analyse sectorielle, n’étant pas en mesure d’identifier les entreprises précises dans lesquelles les banques ont investi. L’empreinte carbone des investissements est donc mesurée selon la moyenne des émissions des entreprises du secteur, et non par rapport à des sociétés précises. Cela participe donc à une certaine opacité dans la méthodologie Carbon Impact Analytics (CIA) utilisée dans le rapport, dénoncée par les banques. C’est pourquoi certaines banques contestent le mode de calcul des tonnes équivalents CO2. Par exemple, là où OXFAM évalue à 723 millions les tonnes de CO2 liées au scope 3 du Crédit Agricole, l’institution avance un chiffre de 138 millions selon la méthodologie qu’elle a développé en partenariat avec une chaire universitaire (Paris IX et l’Ecole Polytechnique).

“bottom-up” ou “top-down” ?

OXFAM a fait le paris d’une méthodologie « bottom-up » ; chaque banque se voit attribuer un montant de tonnes équivalents CO2 selon la quantité d’actifs détenus dans chaque secteur. Cette méthode part du bas (les banques et leurs actifs), pour arriver au total (le « up »). Le problème, c’est qu’avec cette technique, les tonnes équivalents cumulées des banques du monde entier dépassent la pollution mondiale. En effet, certaines opérations bancaires peuvent être comptées en double ou sont prises en compte alors qu’elles ne sont pas source de financement réel pour l’économie. A l’inverse, le Crédit Agricole défend le « top-down ». Son outil part du montant total des émissions de CO2 pour attribuer à chaque acteur la part d’émissions dont il est responsable. Le tout, sur la base du chiffre d’affaires de chaque banque et ses activités géographiques. Cette vision n’est pas non plus infaillible ; elle souffre d’un grand niveau d’incertitude et ne permet pas la comparaison entre plusieurs acteurs financiers.

On peut donc mettre en doute l’exactitude des résultats d’OXFAM. Cependant, ce rapport donne un ordre de grandeur du résultat écologique des activités des banques et ouvre les yeux des clients de ces institutions sur l’impact de leur épargne et la nécessité de choisir des structures responsables pour placer leur argent.

Quelles alternatives pour diminuer l’impact environnemental de votre banque ?

Pour les plus soucieux de l’impact de leur épargne, il existe des banques qui agissent pour l’environnement grâce aux dépôts de leur clients ; Hélios, Green Got, La Naf, Crédit Coopératif, Moka… Ces établissements dédient l’intégralité de leurs fonds au financement de projets verts et donnent une part de leur revenus à des projets de protection de l’environnement. Ces banques essaient de financer les entreprises avec le bilan carbone le plus bas dans chaque secteur. Elles prônent la proximité et un fonctionnement participatif. Certaines comme Green Got proposent aussi un outil d’estimation des économies de CO2 réalisées (Green Got n’est pas encore une banque légalement parlant, mais un intermédiaire de paiement).

Pour autant, il n’y a pas de qualifications légales des banques qui se disent éthiques. Il faut donc faire ses propres recherches pour éviter le greenwashing. Par ailleurs, la majorité de ces établissements sont des néo-banques, avec le lot de contraintes et d’avantages que cela implique.