Rencontre avec Yassine Tahi, CEO de Kinetix
Retour sur le parcours de Yassine Tahi qui nous en dit davantage sur l’entrepreneuriat, Kinetix et l’IA appliquée à l’industrie créative.
Peux-tu te présenter (ton parcours etc.) ?
Je m’appelle Yassine Tahi et j’ai étudié à Sciences Po et HEC Paris avec un parcours plutôt orienté Business avec une curiosité pour les sciences Politiques et la sociologie. Très rapidement, je me suis intéressé à l’entrepreneuriat. J’ai fait un stage dans une start up qui s’appelle Jumia Travel qui est l’équivalent de Booking.com en Afrique. Je travaillais aux côtés du CEO sur le développement de la boite et cela m’a donné envie de me lancer dans l’entrepreneuriat. J’ai aussi fait un stage chez Google en Irlande. Vu que j’ai fait Sciences Po aussi, il fallait que je fasse un stage dans le public, et je l’ai fait à la Cour des Comptes où j’ai travaillé sur la stratégie digitale de La Poste. Tout ses stages ont quand même des liens avec le développement d’activités innovantes. Ensuite, pour mon premier job, j’ai travaillé pendant un an dans une start up qui s’appelle Elephoners, qui est rattaché au secteur des call centers. On n’a pas eu de levée de fonds donc le projet s’est arrêté. Ensuite, j’ai fait du conseil en stratégie pendant deux ans, principalement sur des problématiques d’achat et de ventes d’entreprises technologiques, et sur du lancement de projets chez de grand corporates sur des questions d’IA et tech. En parallèle de tout cela, pendant plusieurs années j’ai créé un évènement, qui s’appelle le Talent Summit, qui est un des événements leader aujourd’hui dans le recrutement dans la Tech. Je suis ensuite rentré au Maroc pendant un an pour développer un fond d’investissement pour les Start-ups Tech, qui s’appelle 212Founders. Suite à tout cela, je suis revenu en France où j’ai rejoint Entrepreneur First qui met en relation des profils Business et Tech et c’est là où j’ai pu rencontrer mon co-fondateur Henri, avec qui j’ai décidé de lancer Kinetix.
Peux-tu nous raconter l’histoire de Kinetix ?
Au moment où j’ai rencontré mon co-fondateur, qui était un chercheur en IA appliqué à la 3D, le courant est très bien passé et on a eu envie de faire quelque chose ensemble. On a commencé à appeler plein de studios pour essayer de comprendre les problématiques auxquels ils font face. On nous a dit que dans l’animation 3D, le travail est très technique, fastidieux et long à réaliser. Ainsi, on a pensé à l’IA pour augmenter la vitesse de développement des animations 3D et aussi débloquer tout un marché de personnes qui ne peuvent pas faire de la 3D, comme les graphistes, pour qui s’est très compliqué. Ainsi, on a décidé de lancer Kinetix qui est une plateforme d’animation 3D simplifié avec de l’IA. On a déjà, aujourd’hui, une première brique technologique qui nous permet d’extraire le modèle 3D animé à partir de son téléphone. Le but pour plus tard est de transférer ce modèle animé sur des personnages et de pouvoir l’animer.
A qui tu destines ton produit ?
On est encore dans une phase de développement. Les marchés que l’on vise sont le gaming, le cinéma d’animations ou encore les médias comme TF1 qui est un partenaire par ailleurs, et plus tard, viser les réseaux sociaux et contenu Web. Mais dans un premier temps notre produit sera là pour intervenir dans le workflow des animateurs 3D donc des personnes qui manipulent déjà la 3D. Ils peuvent prendre une vidéo de référence et extraire le modèle 3D et ils vont pouvoir le retravailler. Ce n’est pas encore très clean pour le moment mais le but dans un premier temps c’est de faire gagner du temps à l’animateur. L’objectif à terme c’est d’automatiser au maximum le passage de la vidéo au personnage directement. On a une version Beta mais elle n’est pas encore assez performante pour être commercialisé mais on a mis en ligne cette version. Les utilisateurs de cette version sont principalement comme je l’ai dit des animateurs 3D dans les jeux vidéo, le cinéma etc. Ce n’est pas encore assez simple pour atteindre le grand public pour le moment. Dans le secteur de l’animation, ils sont 20 millions et il n’y a que 2 millions d’animateurs qui peuvent accéder à notre technologie pour le moment et d’ici quelques mois, lorsque l’on aura automatisé les différentes briques technologiques, on pourra faire accéder aux 18 millions restants, qui ne sont pas des animateurs professionnels, notre technologie pour la création de leur propre contenu.
Est-ce que tu fais de la programmation ? Penses-tu essentiel, aujourd’hui, de savoir coder ?
Moi je n’en fais pas personnellement. J’ai plus un côté business dans le secteur technologie. Il faut comprendre comment le produit fonctionne, mais en tant que CEO, je n’ai pas besoin de comprendre la partie développement de la technologie. Donc, je ne pense pas nécessaire de savoir coder pour comprendre la technologie.
Y a-t-il des réticences de la part des acteurs de l’industrie créative par rapport à l’intégration de l’intelligence artificielle (qui est une technologie qu’ils ne maitrisent pas, j’imagine) ?
95% des animateurs attendent notre technologie car cela va permettre de supprimer les tâches répétitives. Parfois, ils passent plusieurs semaines à copier image par image une vidéo de référence qu’ils vont prendre et avec notre solution, on va enlever toute cette partie-là, ce qui leur permet de se concentrer sur la créativité. Notre outil ne remplacera pas l’animateur mais lui permettra de faire des choses de plus grande qualité. Ils attendent avec impatience ce type d’outil ! Dans notre secteur, on appelle ça l’IA Assistant Creativity. C’est la théorie qui dit qu’apporter le plus d’outils permet de simplifier la vie des créatifs. En clair, on permet la concentration sur la créativité et plus dorénavant, la technicité grâce à notre outil. Si on prend un exemple dans le cas du grand public, avant qu’il n’y ait TikTok, il y a plein de gens qui voulaient produire du contenu mais qui ne le produisait pas par contrainte technologique. Avec l’apport de TikTok, des millions de personnes se sont mis à créer du contenu car ils ont maintenant l’outil pour le faire.
Peux-tu nous décrire ton quotidien d’entrepreneur ?
Il n’y a pas de journées types, il y a toujours des challenges ! Au départ, il fallait que je trouve un co-fondateur. Ensuite, voir si le problème auxquelles on s’attaquait était assez grand pour qu’on puisse s’investir dedans. Il fallait voir aussi si la technologie qu’on apporte, résout le problème. Également, on devait élaborer la road-map technologique, trouver les fonds pour financer le projet, gérer le recrutement et le développement commercial etc. Aussi, suivant la période, on doit s’adapter et faire des choses nouvelles. En ce moment, on est très concentré sur la future plateforme que l’on est en train de designer.
Que penses-tu de l’environnement de travail à Station F ?
On y est depuis le début ! On est très content ! Super atmosphère, super environnement ! Avec le covid, c’est un peu plus compliqué car il n’y a pas trop d’évènements en présentiel mais on apprend tout de même beaucoup et on a quand même le privilège d’avoir été sélectionné par Station F pour avoir accès à plein de choses pour notre développement donc c’est super cool !
Penses-tu nécessaire d’être incubé ?
On est incubé à la fois chez Entrepreneur First et chez Agora Love qui sont des incubateurs de DeepTech. On travaille aussi avec TF1 qui est un partenaire. C’est hyper important d’être incubé car on est dans un écosystème qui nous permet de rencontrer plein de personnes qui rencontrent les mêmes problèmes que nous ou qui les ont connus. Donc, c’est comme un guide et c’est très stimulant d’être dans un environnement pareil. Je n’hésite jamais à appeler d’autres entrepreneurs si je rencontre un problème car s’ils ont déjà résolu le problème que je rencontre, pourquoi devrais-je perdre mon temps ? Il y a des gens qui préfèrent travailler de leur côté pour être très concentré, mais je crois quand même beaucoup au pouvoir des autres entrepreneurs pour nous transmettre leur expérience ce qui nous permet je pense d’avancer de la meilleure façon possible.
Tu as effectué une première levée de fonds. Tu peux nous expliquer concrètement comment ça marche ?
Il faut savoir que tu as plusieurs parties prenantes : les Business Angels, qui arrivent à un stade d’amorçage, et les fonds de Venture Capital. C’est dans ce type de fonds que je travaillais auparavant. Ces fonds veulent investir sur des start-up tech mais ils recherchent plusieurs critères. Pour ce type de fonds, ils veulent faire une plus-value de fois 100 donc avec des retours assez gros. Ils ne se lancent pas si le marché n’est pas supérieur au milliard. En effet, vu que c’est un investissement très risqué il faut que parmi toutes les start-ups dans lesquels ils investissent, ils doivent être capable de résorber les pertes sur les autres start-ups qui n’ont pas réussi. Ils prennent en compte beaucoup de paramètres : le marché, l’équipe, les besoins, la vision, la roadmap etc. Comme j’étais assez habitué aux présentations et que je connais le mode de fonctionnement de ces fonds, j’ai su présenter un projet ambitieux qui a pu les attirer. On a eu beaucoup de Business Angels et de fonds qui nous ont contacté et puis lorsqu’il y en a qui décide d’investir, cela donne confiance aux autres qui décident d’investir aussi.
Aurais-tu des conseils pour ceux qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat ? As-tu fais des erreurs ?
Je trouve dur de se lancer directement après les études mais après il y a plein de contre-exemples qui montrent le contraire et qui ont réussi. J’avais envie de me lancer il y a longtemps mais je n’avais pas d’idée forcément. Je pense que travailler un ou deux ans permet de se structurer, de devenir beaucoup plus professionnel et comprendre les enjeux du marché. Je pense aussi que si l’on veut lancer une boite, il faut quitter son job parce que bien que tu la travailles le week-end tu ne peux pas aller au bout de ton idée. C’est pour cela que moi j’ai démissionné afin de me focus au maximum dans mon idée d’entreprenariat. On est jeune encore, donc on n’a pas encore eu beaucoup de problèmes ou bien on ne le sait pas encore ! Il faut avouer que l’on va très vite donc on ne peut toujours pas savoir pour le moment si l’on a fait des erreurs. On vient de lever près de 800k euros et on est une dizaine maintenant dans l’entreprise. On a près de 3000 personnes qui se sont inscrites pour tester Kinetix. Donc, pour le moment je suis assez fier ! Après on fait tous des erreurs au quotidien mais ils n’ont pour le moment pas encore un grand impact sur notre business.
Est-ce que vous recrutez ?
Par rapport aux fonds qu’on a levé, on a recruté les personnes qu’on avait besoin pour avancer. Par contre, on recherche toujours des doctorants en Deep Learning appliqué à la 3D, qui est un sujet quand même assez pointu. D’ici la fin de l’année, on a prévu une nouvelle levée de fonds ce qui nous permettra de développer les équipes à la fois dans le business, la R&D.