Paul-Antoine De Badts : Parcours d’un ingénieur et escrimeur engagé

Paul-Antoine De Badts : Parcours d’un ingénieur et escrimeur engagé

Paul-Antoine de Badts, combine études à l’EPF et a participé aux JO de Paris 2024. Outre sa vie bien remplie de sportif de haut niveau et élève ingénieur, il est aussi très engagé contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. Interview.

 

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Parle-nous de ton parcours à l’EPF et comment tu gères ton emploi du temps entre tes études d’ingénieur et tes entraînements ?

Entre les entraînements quotidiens, les leçons, la préparation physique, les nombreux et longs
déplacements pour les compétitions et stages, il m’a toujours été impossible de suivre un cursus « classique ». J’ai donc suivi d’abord un parcours scolaire entièrement en instruction à domicile grâce à
l’aide de ma mère via le CNED en parcours réglementé en raison de mon statut de sportif de haut
niveau. Ayant obtenu mon bac S avec mention TB, j’ai commencé ensuite mes études à l’EPF SCEAUX devenue EPF CACHAN avec un aménagement spécial qui me permet notamment de dédoubler toutes mes années. Aussi, je choisis avec les responsables de l’EPF les matières que je vais suivre. Cela reste compliqué car mon emploi du temps « sportif » est déterminé au dernier moment en fonction notamment des sélections qui se font souvent d’une semaine sur l’autre et parfois du jour au lendemain. Ainsi par exemple, j’ai appris cette année que je partais pour Hong Kong la veille pour le lendemain ! Par ailleurs les partiels coïncidant avec mes périodes sportives les plus denses de Coupes du Monde, je suis presque systématiquement à l’étranger lors des examens. Ceci provoque, outre mes absences au contrôle continu, un véritable casse-tête pour les évaluations.

 

Qu’est ce qui t’a poussé à te lancer dans le sport de haut de niveau tout en poursuivant des études exigeantes comme celles de l’EPF ?

Mon appétence pour le sport en général et pour l’escrime de haut niveau en particulier datent de ma plus jeune enfance. Je multipliais les entraînements et j’aimais les compétitions au point souvent de traverser la France voire les pays transfrontaliers entre le samedi et le dimanche afin de participer à deux tournois le même week-end. En grandissant, j’ai encore accru la charge en allant toujours plus loin et sur des compétitions de plus en plus prestigieuses. Toutefois, et dès l’origine, ma mère qui nous a éduqués seule mes 4 frères et sœurs et moi-même m’a donné le goût de pratiquer différentes activités sportives mais aussi artistiques et culturelles, la soif de connaissances et l’ouverture à autrui et au monde. C’est pourquoi, la poursuite d’études exigeantes comme celles de l’EPF est la continuation de mon éducation et participe à mon équilibre.

 

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Quel est ton objectif principal pour les prochains JO de Paris 2024 et comment te prépares-tu physiquement et mentalement pour cet évènement ?

Les JO Paris 2024 étaient un rêve. Je savais que je serai « trop jeune » a priori pour une qualification en 2024 car en escrime les sélectionnés ont plutôt entre 25 et 35 ans que tout juste 21 ans. J’y ai cru
toutefois et je me suis mis beaucoup de pression, peut-être trop d’ailleurs, lors des sélectives JO sur lesquelles j’avais décroché l’autorisation de participer. Il n’y a que trois fleurettistes qualifiés pour les JO et la fédération a reconduit mes aînés qui étaient déjà à Tokyo. Mon objectif reste donc une médaille olympique, non pas à Paris en 2024, mais à Los Angeles en 2028 tout en poursuivant mes études d’ingénieur à l’EPF Cachant et mon engagement dans la lutte contre toutes sortes de discriminations !

Tu es également très engagé contre les violences sexistes et sexuelles. Peux-tu nous parler de ce qui a motivé cet engagement et comment tu arrives à concilier cela avec tes autres responsabilités ?

Les violences sont au cœur de ma vie. Celui que je désignerai par « Il » nous a fait vivre un enfer domestique à ma mère, à mes quatre frères et sœurs et à moi, même aux moments qui devraient être les plus beaux moments de la vie. Violences physiques, les coups pleuvaient jusqu’à ce que nous
soyons plus forts que lui, violences psychologiques avec des insultes, du mépris et du dénigrement permanents mais aussi violence économique puisqu’ « Il » nous menaçait sans cesse de nous couper les vivres avant de concrétiser ses menaces. J’ai eu beaucoup de mal à me résoudre à partir dans les structures de haut niveau en Ile de France, j’avais l’impression de laisser les miens à la merci de ce bourreau. C’est d’ailleurs pourquoi je suis toujours domicilié à Lyon tout en ayant un pied à terre à Paris.

Ma mère et mes frères et sœurs sont pris en charge par l’Association Viffil SOS Femmes et bénéficient du soutien de solides relations et amis envers qui je suis particulièrement reconnaissant. Les procédures sont en cours. Je ne cache cette situation à personne, aussi quand j’ai besoin de m’absenter pour protéger les miens ou défendre de manière plus générale cette cause, je le dis tout simplement à mes entraîneurs ou à mon école.

 

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Paul-Antoine De Badts et sa mère lors de leur 1er 20 km, Paris 2023.

Que signifie pour toi la participation à des évènements comme la Sine Qua Non Run et quel message souhaites-tu transmettre à travers cette course ?

L’engagement ! Courir à la Sine Qua Non Run depuis le 22 octobre 2022 date symbolique du jour où trois policiers sont intervenus en pleine nuit pour Lui faire quitter notre domicile, c’est courir ensemble pour mobiliser chacun et chacune contre les violences sexistes et sexuelles. C’est important d’agir pour ce qu’on veut défendre. « J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre » pour reprendre les paroles de Camus dans Les Justes. Ce n’est pas tout de croire en une cause, encore faut-il s’engager pour assurer sa protection et la promouvoir. Il y a tant à faire pour booster l’empowerment des femmes et piétiner les violences sexistes et sexuelles ! Je porte le tee-shirt de la Sine Qua Non Run régulièrement dans la vie de tous les jours mais aussi à l’entraînement et en compétition.

Je n’ai pas peur de dire que je promeus l’égalité femme et homme et que je lutte contre les discriminations au nom des droits fondamentaux. Et il me semble que c’est important que chacun se sente concerné peu importe qu’il soit femme ou homme, issu au non d’une minorité, dans cette lutte pour l’égalité et contre les discriminations. Aussi cette année le 9 mars Place de la Pointe j’étais avec mes proches à Pantin pour le départ des 10 km de la Sine Qua Non Run mais aussi le 23 avril sur Parvis de l’Hôtel de Ville de Paris pour la Nuit des Relais organisée par la Fondation des Femmes pour faire progresser les droits des femmes et lutter contre les violences dont elles sont victimes.

 

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Tu as écrit sur Linkedin : « Parce qu’avec des coups et des mots certains brisent des ailes ». Peux-tu nous expliquer la signification personnelle de cette phrase pour toi ?

Cette phrase est à la fois très personnelle puisque c’est le résumé de la vie conjugale de ma mère et très générale puisque malheureusement elle concerne tant de personnes victimes de violences. Ma mère nous a protégé mes quatre frères et sœurs et moi-même en contrebalançant par tout son amour et sa bienveillance les violences que nous subissions de « Lui ». Elle nous a tout donné pour que nous nous « envolions » libres et avec des ailes solides loin du foyer. Mais qu’endurait-elle ? Elle avait perdu tout espoir d’avoir un avenir et n’avait que l’objectif que ses enfants soient libres ! Avant son mariage, elle était sur le point de soutenir une thèse de doctorat de droit privé. Major de son master 2 de droit privé fondamental, elle avait une bourse de moniteur de l’enseignement supérieur. « Il » la contrainte à rester au foyer, lui a retiré un à un tous les droits et libertés, et puis outre la violence physique, elle a dû essuyer ses insultes, son mépris et son dénigrement. Elle tremblait face à « Lui » au point de claquer des dents et de ne pas pouvoir tenir son téléphone. Elle tremblait même lorsqu’elle recevait un SMS ou un mail de « Lui ». La reconstruction est en cours depuis que la Police l’a contraint « Lui » de quitter le domicile. Elle fait encore de terribles cauchemars de « Lui ». Les dégâts causés par ces plus de vingt ans de violences sont considérables. Cette métaphore des ailes brisées par les violences physiques et psychologiques me paraît particulièrement évocatrice. Il y a un continuum dans les violences qui nécessite tout un processus de reconstruction.

C’est ainsi que je comprends la phrase de l’Association VIFFIL SOS Femmes « sortir des ténèbres de la violence, ouvrir le livre de la vie, s’ouvrir au monde, à la lumière, au désir. »

 

Quelles sont les principales difficultés que tu as rencontrées en jonglant entre tes études, tes entraînements et tes engagements sociaux, et comment les surmonter ?

La gestion du temps, le Tic-Tac de l’horloge ! Être là et ailleurs, gérer les emplois du temps et les aléas des déplacements entre Antony, l’INSEP, Cachan, Lyon et tous les déplacements nationaux et internationaux. Il m’est arrivé d’atterrir quelques heures à peine avant une finale de championnats de France par équipe et de la remporter alors que je gagnais une finale de championnat d’Europe par
équipe la veille à l’étranger. Pour les surmonter il convient d’avoir certains aménagements ainsi qu’une bonne hygiène de vie tout en se ménageant des moments de détente.

Penses-tu que le sport peut jouer un rôle clé dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Si oui, comment ?

Le sport joue un rôle clé dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en son sein même et
aussi plus largement. Le milieu du sport est en effet un milieu un peu fermé, une sorte de vase clos, c’est par conséquent un milieu propice au développement des violences de toutes sortes et en particulier des violences sexistes et sexuelles. Les langues se délient. C’est un progrès considérable mais il convient de rester vigilant et de poursuivre la tolérance zéro. Plus largement le sport participe au bien-être, à l’ouverture aux autres et à la confiance en soi. Il me semble que le sport est aussi un élément important à la ré appropriation de leur corps des victimes des violences sexistes et sexuelles. Ce n’est pas par hasard que bon nombre d’association de protection des victimes de violences sexistes et sexuelles œuvrent à la reconstruction des victimes par le sport. C’est pourquoi j’ai fondé cette année une association qui a pour objet d’accompagner à la reconstruction par le sport les victimes de violences sexistes et sexuelles qui s’appelle Spread Your Wings and Fly – 42,195.


Pour finir, un mot de la fin ?

Bon nombre de personnes à qui je me confiais quand j’étais enfant me montraient de l’empathie mais n’intervenaient pas au motif que cela relevait de la vie privée. Le problème est bien là. Cela ne relève absolument pas de la vie privée, la dénonciation des violences et la protection des victimes de violences relève de l’ordre public, cela nous concerne tous. Voilà pourquoi je laisse mes mots de la fin à Stéphane Hessel « ENGAGEZ-VOUS ! »

 

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Responsable Média chez Mister Prépa et Planète Grandes Écoles, je suis une journaliste passionnée toujours là pour vous éclairer !