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- Matthieu Castagnos
- 22 avril 2024
Interview d’Emmanuel Pradère, Président co-fondateur d’Experienced Capital
Dans cert article vous retrouverez le témoignage passionnant d’Emmanuel Pradère, Président et Co-fondateur d’Experienced Capital.
Pouvez-vous vous présenter et revenir succinctement sur votre parcours scolaire et professionnel ?
Après une classe préparatoire au Lycée Pierre de Fermat à Toulouse, j’ai intégré HEC, dont je suis diplômé de la promotion 1994. J’y ai passé de très belles années, notamment en y ayant constitué un noyaux d’amitiés fidèles et rencontrant celle qui est devenue mon épouse et la mère de nos 3 enfants. Je suis délégué de promo, et organise actuellement les 30 ans de notre départ du campus. Le temps file !
A l’issue de mes études, j’ai effectué mon service militaire en tant qu’officier dans la Marine, au poste d’aide de camp de l’inspecteur général. Je suis aujourd’hui officier de réserve citoyenne dans la Marine, et je mène quelques actions de rayonnement de la Marine sur le campus HEC, notamment en lien avec l’association HEC Défense qui est très dynamique. J’ai par exemple fait venir sur le campus un ancien commandant du porte-avions Charles de Gaulle, ou le major général des Armées qui est l’ancien chef d’état-major de la Marine. Ces conférences ont été de grands succès, il y a actuellement un vrai intérêt pour les sujets de Défense et c’est compréhensible.
J’ai débuté ma carrière à La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, où j’ai passé 3 ans, puis j’ai rejoint le secteur de la consommation, que je n’ai jamais quitté depuis. Tout d’abord pendant 5 ans au sein de la branche distribution de Saint-Gobain, en tant qu’adjoint du directeur M&A. Puis pendant 8 ans au sein du groupe Casino – à l’époque en grande forme – en tant que directeur adjoint du M&A, puis directeur général adjoint finances du groupe Franprix – Leader Price. A l’issue de cette expérience plus opérationnelle, j’ai rejoint le groupe de mode SMCP (Sandro Maje Claudie Pierlot) alors en plein développement. SMCP était un LBO, détenu par Catterton puis par KKR, et c’est à cette époque que j’ai découvert l’univers du Private Equity. J’y ai exercé pendant 4 ans les fonctions de directeur général délégué finances et opérations, et j’ai accompagné le fort développement du groupe, qui est passé de 150M€ à près de 800M€ sur la période, en devenant international, avec notamment l’ouverture de bureaux à New York et Hong-Kong.
Puis, il y a 8 ans, j’ai créé Experienced Capital, un fonds d’investissement dédié aux marques premium, car nous étions convaincus que la consommation allait connaître d’importants bouleversement, et voir de nouvelles marques émerger.
Pour les non-initiés, quelles sont les activités et les missions d’Experienced Capital ?
Experienced Capital est un fonds de capital développement dédié aux marques premium. Nous intervenons sur tous les segments de la consommation : cosmétique, mode & accessoires, mobilier & décoration, loisirs expérientiels, restauration, sport, …
Notre stratégie est d’identifier et d’accompagner les marques de demain, qui correspondent aux attentes des consommateurs. Experienced Capital est un fonds centré sur les comportements du client CSP+ / premium (« affluent customer »), jeune urbain, connecté, dont le pouvoir d’achat est important.
Nous investissons dans des sociétés qui réalisent 5 à 10M€ de chiffre d’affaires, et accompagnons leur développement pendant 4 à 8 ans, pour les porter de 30 à 70M€ de chiffre d’affaires environ, puis nous cédons notre participation. Nous accompagnons donc la première phase d’accélération du développement, aux côtés du (ou des) dirigeant(s) fondateur(s).
Quels sont les critères clés que vous utilisez pour évaluer les opportunités d’investissement et sélectionner les entreprises dans lesquelles vous investissez ?
Outre les critères de chiffre d’affaires que je viens de citer, nous investissons dans des sociétés qui remplissent les conditions suivantes :
- Un produit ou un service « juste», avec un « proof of concept », c’est-à-dire la preuve qu’il correspond aux attentes du client
- Un dirigeant fondateur solide, qui a une forte ambition, mais qui est capable d’écouter des conseils
- Un potentiel de développement à l’international
Par ailleurs, il faut que nos marques intègrent les 3 tendances de fonds qui bouleversent la consommation et pour lesquelles nous avons créé Experienced Capital :
- Des marques de plus en plus digitalisées (maîtrise des ventes digitales mais aussi des réseaux sociaux, de la data client et, de façon générale de toutes les technologies permettant de développer une vraie omnicanalité)
- Des marques de plus en plus affinitaires, qui sont capables de fédérer autour d’elles une communauté
- Des marques de plus en plus durables, porteuses d’un projet RSE et inscrites dans une logique de consommation équitable et juste (consommer moins mais mieux, valeurs de la marque et sens porté par la marque)
Dans tout cela, le facteur le plus important pour nous est le dirigeant, sa vision de la marque, son ambition, ses qualités d’écoute et sa personnalité. J’en profite pour préciser que plus de 50% des sociétés de notre portefeuille sont dirigées par des femmes. De la même façon 50% des équipes de ECP sont des femmes et 50% des associés de ECP sont des femmes. La parité, qui nous tient à cœur depuis toujours, est donc présente à tous les niveaux, et c’est vraiment très rare dans le Private Equity. Pour nous, la parité est complètement naturelle.
Quels sont les principaux facteurs qui différencient l’investissement en Private Equity dans le secteur du « consumer goods/services » par rapport à d’autres industries ?
Le secteur de la consommation présente en effet plusieurs spécificités :
- Vous êtes directement en contact avec le consommateur, et vous faites donc face le premier aux changements de tendance et de comportement. Cela nécessite une très grande réactivité.
- Vous devez avoir de nombreux capteurs, pour comprendre tout ce qui peut influencer votre client : évolutions économiques et sociologiques, inflation, apparition de concurrents, évolution de la fréquentation de tel ou tel quartier dans une ville, …
- Dans un monde globalisé, les tendances peuvent venir de n’importe où.
- Dans un monde digitalisé, les tendances peuvent se diffuser très rapidement.
Au final, investir dans la consommation nécessite une grande agilité, et la capacité de définir une stratégie moyen terme, tout en ajustant en permanence ses actions au quotidien.
C’est différent dans l’industrie, où vous avez plus de temps pour réagir à un changement de comportement du client final. Dans le commerce, les ventes se mesurent tous les jours, voire toutes les heures sur Internet.
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Quelles sont les tendances récentes et les opportunités clés que vous observez dans ce secteur ? Comment cela influence-t-il la stratégie d’investissement d’Experienced Capital ?
Comme je l’ai indiqué, 3 tendances de fonds bouleversent la consommation (consommation digitalisée consommation affinitaire, consommation responsable et durable). C’est sur ces tendances que nous avons décidé de créer Experienced Capital, car elles permettent à de nouvelles marques d’émerger, et c’est elles que nous voulons accompagner.
C’est, par exemple, le cas de Jimmy Fairly, qui est en train de révolutionner le marché de l’optique en France, et que nous avons accompagné dans sa première phase de croissance.
C’est aussi le cas de la marque de mode pour homme Balibaris, de la marque de mode pour femme Sœur ou Sessun, de la marque de cosmétique Oh My Cream ! ou des lieux de karaoké BAM, pour ne citer qu’eux au sein de notre portefeuille.
Vous avez mentionné lors d’une précédente interview une période de déconsommation dans le secteur du prêt-à-porter. Comment cette tendance a-t-elle évolué depuis lors ? Cela explique-t-il vos investissements plus récents dans l’industrie dans les loisirs et la restauration ?
Il y a en effet depuis quelques années une tendance à la décroissance dans le secteur du prêt-à-porter milieu de gamme, mais c’est un segment sur lequel nous ne sommes pas. Nous intervenons sur le segment situé au-dessus, celui du « luxe accessible » qui lui se porte très bien, car il s’adresse à ce client CSP+ dont le pouvoir d’achat est préservé. Ce ne sont pas du tout les mêmes marchés.
Je suis personnellement favorable à une consommation beaucoup plus raisonnée, dans le cadre de la transition écologique et énergétique qui est indispensable. Je me réjouis donc de la déconsommation de produits de mauvaise qualité, produits au bout du monde et dont la durée de vie est limitée. Nous n’accompagnons que des marques ayant une vraie démarche RSE, de création de produits de qualité, durables, qui aident à « consommer moins mais mieux ».
Notre diversification sectorielle est partie-prenante de notre stratégie d’investissement, dès l’origine d’Experienced Capital, car nous considérons que les tendances évoquées précédemment sont communes à tous les secteurs de la consommation, du loisir à la restauration, en passant par la cosmétique ou la décoration. Ce sont exactement les mêmes tendances de marché.
Votre parcours professionnel est marqué par plusieurs transitions entre différents secteurs et entreprises. Comment ces expériences variées ont-elles influencé votre approche envers les fusions-acquisitions et les investissements dans le Private Equity ?
Mon parcours est celui d’une évolution progressive vers ce que je fais aujourd’hui, à savoir diriger un fonds d’investissement dédié aux marques premium.
En effet, depuis près de 25 ans, j’évolue dans le secteur de la consommation. D’abord chez Saint-Gobain Distribution (distribution de matériaux), puis chez Casino (distribution alimentaire), puis au sein du groupe SMCP (mode), pour enfin créer ECP. Depuis 25 ans, le client est au cœur des préoccupations des sociétés dans lesquelles je travaille. C’est un fil conducteur.
Par ailleurs, dans ce secteur de la consommation, j’ai exercé 2 métiers financiers : du M&A dans des structures corporate (Saint-Gobain puis Casino) pendant les 10 premières années, puis des fonctions de direction générale finance (Franprix Leader-Price puis SMCP) pendant 7 ans.
Le fait de maîtriser à la fois les techniques M&A et la dimension financière opérationnelle m’a permis tout naturellement de m’installer dans un rôle de dirigeant de fonds d’investissement. Les qualités requises en Private Equity sont en effet d’être capable (i) d’identifier et acquérir les bonnes cibles, puis (ii) de piloter la performance de la participation et enfin (iii) de céder la participation.
Mon poste actuel me permet de faire la synthèse de mes différentes expériences précédentes. Ce n’est pas une voie classique dans le Private Equity, qui est généralement de commencer très tôt dans ce secteur.
Le passage le plus difficile que j’ai vécu est celui de directeur adjoint du M&A du groupe Casino – où je ne travaillais qu’avec des diplômés de grandes écoles de commerce – à celui de directeur général finances de Franprix – Leader Price, un groupe de 4,5 milliards de chiffre d’affaires. J’avais 36 ans, mes bureaux étaient à l’Est de Paris au-dessus d’un entrepôt et je suis passé de 2 collaborateurs à une équipe de plus de 200 personnes. Un vrai choc, mais vraiment très enrichissant sur un plan personnel. A côté de cette transition, toutes les autres m’ont semblées faciles.
Vous êtes membre du conseil d’administration du Fonds de dotation de l’Opéra de Paris. Qu’est-ce que cette activité implique pour vous ?
Je partage avec mon épouse une passion pour la danse, et nous soutenons en tant que mécènes depuis des années l’Arop (Association des Amis de l’Opéra), qui regroupe des entreprises partenaires et des particuliers amateurs. Nous avons la chance à Paris d’avoir une des plus belles compagnies de ballet au monde, avec une technique de danse reconnue partout. Les danseurs sont des artistes formidables, rigoureux, travailleurs et engagés au service de leur institution. Ils recherchent une performance individuelle au sein d’un collectif. Je trouve cela intéressant. Nous connaissons personnellement plusieurs danseurs et danseuses étoiles, ce sont toujours des personnalités extraordinaires.
L’Arop propose une adhésion pour les jeunes qui est très intéressante. Elle permet notamment d’accéder à des soirées réservées aux moins de 26 ans (10€ la place !) et propose de nombreuses activités.
En tant qu’administrateur du fonds de dotation de l’Opéra de Paris, je participe à des opérations de rayonnement de l’Opéra, notamment auprès de la communauté française du Private Equity. L’Arop et le fonds de dotation collectent au global environ 10% du budget de l’Opéra, ce qui est considérable.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience en tant qu’auditeur libre à l’École du Louvre ? Comment cette expérience a-t-elle enrichi votre parcours professionnel et personnel ?
Depuis toujours, je suis passionné d’histoire et des civilisations antiques, A HEC, j’ai effectué mon stage à l’étranger au Caire à l’Ambassade de France en Egypte, j’ai pu découvrir les principaux sites archéologiques, c’était magnifique.
Je trouve fascinant d’essayer de comprendre pourquoi une civilisation émerge ou disparait. Les périodes de ruptures sont les plus intéressantes. Je suggère à nos dirigeants actuels d’étudier les raisons de la chute de l’Empire Romain par exemple. Les époques et les situations ne sont pas comparables, mais étudier les civilisations anciennes permet de prendre l’habitude de distinguer des tendances lourdes. C’est l’inverse que de rester rivé à son fil d’actualité sur son smartphone…
Je retiens donc de l’étude de ces civilisations l’importance de toujours appréhender ou essayer d’appréhender les tendances de fond.
Sur un plan personnel, cette formation m’a ouvert de nombreuses portes, sur de nouveaux centres d’intérêts. Les sujets abordés par les artistes sont toujours les mêmes : les origines, l’amour, la quête du beau, la mort. A ce titre, la civilisation grecque classique – le siècle de Périclès – et particulièrement incroyable.
Cela m’a donné encore plus envie d’être curieux car je retiens de cette formation que plus on en sait, plus on sait que l’on est ignorant, et c’est formidable.
Chez Experienced Capital avez-vous l’habitude de recruter des stagiaires ou des alternants ? Quelle est votre politique de recrutement ?
Nous avons en permanence un stagiaire, pour une durée de 6 mois (de janvier à juin et de juillet à décembre). Nous sommes une petite équipe, il est donc partie prenante et très intégré. Lorsque nous créons un poste, nous favorisons les anciens stagiaires et nous avons déjà 2 anciens stagiaires qui nous ont rejoints.
Nous ne prenons pas d’alternant.
Qu’attendez-vous des étudiants qui souhaitent candidater à des offres de stage de votre fonds ? Un mot à leur partager ?
Nous recherchons des stagiaires en deuxième ou troisième année d’école de commerce, ayant idéalement effectué un premier stage en PE, M&A ou TS.
Nous attendons d’eux une forte implication, ils participent à la vie du fonds et aux réunions d’équipes. Ils nous alimentent aussi avec les nouvelles tendances de la consommation pour les personnes de leur âge. Nous aimons donc des stagiaires très ancrés dans la vie.
Ils peuvent postuler directement sur notre site, en accédant à la rubrique dédiée.
Un grand merci à Emmanuel Pradère pour ce témoignage !