Interview de Jean-Pierre Boissin, fondateur de Pépite France
Rencontre avec Jean-Pierre Boissin, fondateur de Pépite France et à l’origine du statut étudiant-entrepreneur en France. Nous évoquons son parcours, sa vision de l’entrepreneuriat et Pépite France.
Bonjour Jean-Pierre, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Un doctorat en sciences de gestion dans une entreprise de conseil après une formation en sciences économiques puis une carrière d’enseignant-chercheur à l’université : Maître de conférences puis l’agrégation des universités pour devenir Professeur à Grenoble IAE (INP-UGA). En parallèle, la conduite d’un important projet avec la création d’une Maison de l’Entrepreneuriat en 2000 pour l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de Grenoble (60 000 étudiants) puis une mise à l’échelle nationale de cette expérimentation de 2010 à 2019 avec une mission ministérielle.
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Vous avez fait un doctorat Entrepreneurship / Strategic Management. Sur quel sujet portait votre doctorat ? Pourquoi avoir choisi l’entrepreneuriat ?
J’avais fait mon doctorat en management stratégique sur l’intégration verticale et la diversification du groupe Péchiney avec une vingtaine d’acquisitions dont une OPA sur l’américain ANC.
Pour l’entrepreneuriat, davantage de l’opportunisme de terrain et mes traits de caractères qu’une démarche académique : Jeune maître de conférence, le directeur de mon établissement m’a demandé en 1999 un projet pour récupérer 15 K€ par une innovation pédagogique auprès de la Région Rhône Alpes. J’ai proposé de créer une cellule de création d’entreprise dans mon université. L’entrepreneuriat était la dimension montante (année de la création de l’Académie de l’Entrepreneuriat). Parallèlement, j’étais très investi dans des associations culturelles et des projets de reprise d’entreprise en Ardèche.
Aujourd’hui, 0,1% des étudiants en grande école de commerce continuent en doctorat, alors que c’est possible. Qu’avez-vous envie de leur dire ? En quoi faire un doctorat est-il quelque chose d’unique et différenciant ?
La situation est catastrophique tant auprès des écoles de commerce que des IAE à l’Université. Rares sont les étudiants français intéressés par un doctorat en sciences de gestion. A l’image de l’enseignement en général, le doctorat a une image dégradée. Contrairement à des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, le titre de docteur est peu valorisé, peu reconnu notamment sur le marché du travail. Dans certaines disciplines, le candidat à un emploi a intérêt à omettre son doctorat dans son CV. En sciences de gestion, entre les postes en écoles de commerce et à l’université, nous avons maintenant moins de nouveaux docteurs diplômés en France que de postes d’enseignants-chercheurs. Dans le public, les salaires d’embauche sont déconnectés du marché.
Pour attirer des candidats, je travaille sur des collaborations fortes avec des entreprises comme les CIFRE, une forme de doctorant en alternance. Mon message est que le doctorant va acquérir une expérience professionnelle qui lui permettra de rester dans l’entreprise s’il préfère. Si non, il aura des opportunités de postes d’enseignants-chercheurs en Ecoles de commerce ou à l’Université. Je ne peux parler que du public, mais en passant Professeur d’Université les rémunérations sont correctes avec une très grande liberté. Trois quarts de mon engagement au travail a été de monter des projets, de convaincre des tutelles et de trouver des financements. Peut-être pas tout à fait l’image d’un job de fonctionnaire, d’enseignant-chercheur.
En 2014, vous fondez le réseau Pépite France. A quels besoins vouliez-vous répondre en 2014 ?
C’est tout un processus qui prend… 20 ans ! 2000 création de la Maison de l’Entrepreneuriat pour tout l’enseignement supérieur de Grenoble ; 2003, le Ministère de la Recherche me demande de réaliser un essaimage sur 6 autres villes ; 2010, Valérie Pécresse me donne la mission de coordonner 20 Pôles Entrepreneuriat Etudiants ; 2013-2014, Geneviève Fioraso (heureusement que j’étais de Grenoble…) maintient ma mission avec une mise à l’échelle nationale pour tous les sites d’enseignement supérieur (création de 34 Pôles Etudiants Pour l’Innovation, le Transfert et l’Entrepreneuriat) et surtout la création du Statut National Etudiant-Entrepreneur (SNEE).
Comment s’est déroulé l’idéation et la création du projet ?
La création de Pépite France est tout simplement le véhicule d’animation de ma mission nationale. J’avais une mission nationale et comme moyen, des billets de TGV Grenoble Paris et ma boîte mails. Un peu maigre pour animer cette mission pour 3 Millions d’étudiants, une trentaine de pôles et une centaine de chargés de mission. J’avais deux objectifs que je m’étais donné pour créer Pépite France :
- Avoir une marque nationale pour les étudiants-entrepreneurs, des événements (présence visible Salon des Entrepreneurs, Vivatech…) et des programmes partagés (accompagnement Pépite Starter, Pépites des PEPITE, du corporate avec des grandes entreprises,…) ;
- Avoir un partage des bonnes pratiques entre les pôles avec des incitations et des financements des transferts (séminaires, formations, communication) entre les chargés de mission.
Le SNEE et le D2E ont été créés grâce à l’action de Pépite France. Pouvez-nous nous expliquer qu’est-ce que le SNEE et le D2E ?
Il n’y a que les ministres qui créent dans le domaine public. Pépite France n’est que le support. Ce dispositif est d’abord conçu comme une brique favorisant l’insertion professionnelle des étudiants. Le SNEE a été inspiré du statut de sportif niveau. Le 1er objectif était de donner un message fort aux familles et aux enseignants : cet étudiant a un fort engagement entrepreneurial dans un projet. L’Etat s’efforcera d’accompagner son projet tout en favorisant sa réussite d’étude. Il y avait donc un enjeu d’équivalence de crédits (ECTS), par exemple la substitution du stage par le projet entrepreneurial. Le 2ème objectif est de créer une masse critique d’étudiants-entrepreneurs sur un site pour avoir des effets d’expérience et des économies d’échelle avec une mise en réseau avec l’écosystème entrepreneurial.
Le Diplôme Etudiant-Entrepreneur, diplôme d’établissement, avait pour objectif de pouvoir maintenir les droits du statut étudiant pour les jeunes diplômés qui lançaient leur projet. Pour les étudiants en cours d’études, ce diplôme avait pour objet de pouvoir signifier cette acquisition de compétences entrepreneuriales. Au-delà du projet entrepreneurial qui peut ne pas aboutir, avoir une traçabilité du parcours de l’étudiant notamment pour son insertion professionnelle.
Depuis quelques années, nous assistons en France à un boom de l’entrepreneuriat avec de nombreuses initiatives comme la French Tech. Quel est votre regard sur l’entrepreneuriat en France actuellement ?
A l’issue des Assises de l’Entrepreneuriat en 2013, l’objectif était de doubler le nombre d’entrepreneurs diplômés de l’enseignement supérieur. La dernière enquête SINEE de l’INSEE est titrée « des créateurs plus jeunes et plus diplômés ». De là à dire que le dispositif PEPITE et le SNEE ont joué leurs rôles, je franchis le pas. La prochaine enquête SINEE confirmera ces chiffres.
2010 | 2014 | 2018 | |
---|---|---|---|
% Créateurs d’entreprise | 43% | 46% | 56% |
% de micro-entrepreneurs diplômés enseignement supérieur | 38% | 41% | 45% |
% de micro entrepreneurs étudiants et scolaires | 5% | 6% | 13% |
% des micro-entrepreneurs de moins de 30 ans | Nd | 30% | 36% |
% des porteurs ayant reçu une formation à la création d’entreprise | 12% | 12% | 24% |
(enquête INSEE SINE base 2018, p.26-31 in Rapport PME 2020)
D’une façon plus générale, la culture française a considérablement évolué avec une plus grande ouverture à l’entrepreneuriat. L’élection présidentielle 2017 du jeune Président Macron a été construite sur un modèle de construction d’une startup. Le monde économique a aussi considérablement changé avec un contexte d’innovation accélérée favorisée par l’accessibilité du numérique. Le contenu des projets de création d’entreprise des étudiants-entrepreneurs s’est considérablement renforcé. Il y a une importante offre d’accompagnement et de financement des projets. Il faut conserver une vision large de l’entrepreneuriat (création mais aussi reprise d’entreprise, l’entreprise mais aussi l’associatif, l’intrapreneuriat) tout en ayant une approche critique (les risques, la précarité).
Quels sont les grands défis à venir pour promouvoir et accompagner les entrepreneurs ?
Continuer à développer l’apprentissage par l’action par la conduite de projets dans leurs diversités. Renforcer les incitations pour les projets avec un impact sur le développement durable et développer la culture de la responsabilité sociétale de l’entrepreneur. Les établissements (notamment publics car les privés ont commencé) devraient se doter de fonds d’amorçage pour être présents dans les projets des étudiants-entrepreneurs, développer le statut de Jeune Entreprise Universitaire (mêmes avantages que la JEI) afin d’avoir une meilleure interaction dans le suivi des projets.
Des conseils pour les étudiants intéressés par l’entrepreneuriat ?
De demander le SNEE, d’impliquer leurs enseignants pour les équivalences d’ECTS (substitution du stage et/ou autre équivalence), d’être exigeant sur l’offre d’accompagnement du dispositif PEPITE, de ne pas créer trop vite (plus compliquer de fermer que de s’immatriculer).
Le mot de la fin
La belle aventure du dispositif PEPITE, du SNEE et de Pépite France est une belle illustration des activités professionnelles d’un Professeur d’Université, hors de l’enseignement et de la recherche. Donc entreprenez, y compris en faisant un doctorat en sciences de gestion pour devenir enseignant-chercheur.
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