Interview d’Éric Legent – CEO & Co-Fondateur de ReValorem

Interview d’Éric Legent – CEO & Co-Fondateur de ReValorem

Nous avons interviewé Éric Legent, alumni d’Audencia et de l’ESCP, CEO & Co-Fondateur de ReValorem, une jeune entreprise qui recycle les invendus des maisons de luxe et remet sur le marché 65% des matières premières.

 

Pouvez-vous vous présenter et revenir sur votre parcours ?

Je m’appelle Éric Legent, j’ai 56 ans. Mon parcours a commencé par une classe préparatoire à Nantes à l’issue de laquelle j’ai intégré Audencia. J’y ai effectué une majeure finance avant d’ensuite rejoindre l’ESCP et de faire un Master de finance. J’ai été diplômé en 1988 puis j’ai commencé ma vie en tant que trader de produits dérivés sur les marchés financiers.

J’ai travaillé pendant 7 ans dans la finance de marché à Paris, à Londres et à Francfort pour des entreprises telles que BNP Paribas, Citibank, Deutsche Bank. En 1995, j’ai été licencié de Deutsche Bank et plutôt que de rester sur les marchés, j’ai décidé de me diriger vers le monde de l’entreprise.

C’est à ce moment-là que j’ai rejoint un grand cabinet de conseil américain qui s’appelait Arthur Andersen. J’ai notamment été jeune consultant, apprenti consultant et ensuite, consultant et manager avec des missions qui concernaient la réorganisation d’entreprises et d’univers industriels.

Puis, en 1999, j’ai fait mon « coming-out entrepreneurial » en créant la première plateforme de musique en ligne avant Deezer et Spotify. Cette plateforme s’appelait FranceMP3 et on avait 85-90% de parts d’audience sur toute la France. Je l’ai finalement revendu en 2001 à un groupe italien et heureusement d’ailleurs…car 5 semaines après la vente, il y a eu les attentats du 11 septembre. Donc on peut dire que la part de chance est considérable dans l’entrepreneuriat.

Enfin, pour résumer, de nombreuses aventures entrepreneuriales s’en sont suivis : que ce soient dans la musique, dans les jeux vidéo, dans le marketing algorithmique, dans le packaging, dans l’ingénierie documentaire ou dans la Fintech.

J’ai également créé une entreprise de conseil, un site de vente de boîte de sardines sur Internet et plus récemment, j’ai créé ReValorem. Dans l’ensemble, la création de toutes ces entreprises n’a jamais été le fruit d’un travail de brainstorming issu d’une feuille blanche. C’est plutôt un radar qui fonctionne en permanence et qui capte les opportunités, entend et essaye d’arbitrer.

 

Comment est né ReValorem ?

ReValorem est né lors d’un repas il y a 4 ans où j’ai déjeuné avec un vieux camarade, patron des opérations chez Christian Dior Couture. Il faut savoir que Christian Dior Couture fait 40% de croissance chaque année. C’est une machine à créer, faire produire et vendre.

En effet, la part production pure des maisons de luxe est très marginale. Les maisons de luxe ont des producteurs qui reçoivent des maquettes, des modèles, des dessins de bureaux de style et ensuite elles mettent en production. Donc leur métier c’est créer, faire produire et vendre et ça 5 à 6 fois par an.

Jusqu’à présent, les considérations de fin de stock étaient assez limitées dans les grandes maisons de luxe. Toutefois, l’arrivée de la loi AGEC, adoptée en février 2020, a complétement modifié la donne.

C’est pourquoi, lors d’un déjeuner il y a 4 ans, je l’interrogeais sur les différents freins qu’il pouvait y avoir à la croissance effrénée de sa maison et il m’a cité plusieurs sujets dont le fait de trouver une solution pour ne pas gaspiller les invendus.

Puis un an plus tard, nous nous sommes revus et il m’a reparlé de cela en me disant que ce sujet devenait de plus en plus chaud car une loi allait bientôt être promulguée. J’ai alors pris la décision de m’en charger avec mon camarade d’Arthur Andersen, entrepreneur comme moi, François-Marie Barrès, à qui j’en avais parlé.

On a fait une réunion tous les trois et il nous a fait part de l’exigence majeure : la sûreté et la sécurité des produits. C’est-à-dire que la marchandise qu’il nous donne possède une forte valeur marchande donc il fallait lui garantir que celle-ci n’allait pas s’évaporer.

Nous avons alors eu l’idée suivante : un process qui dépareille la chaussure droite de la chaussure gauche et cela les a convaincus. Ainsi on a signé un contrat avec la maison Dior en janvier 2020 et le 16 mars 2020, le premier pilote pour ces derniers devait commencer. Or, il s’agissait du 1er jour du premier confinement donc le pilote n’a pas commencé à la date prévue.

 

Et aujourd’hui, c’est quoi ReValorem ?

ReValorem, aujourd’hui, c’est une entreprise qui travaille exclusivement sur le marché du luxe. Et, on travaille uniquement sur des produits pre-consumer donc des produits qui n’ont jamais été portés pour des raisons multiples : des problèmes de collectes, des problèmes liés à la propreté de la matière et également pour des problèmes d’homogénéité.

Par ailleurs, concernant notre positionnement, il consiste à travailler sur tous les produits qui touchent à l’habillement : souliers, maroquinerie, textile et accessoires. Et, notre positionnement stratégique, c’est qu’on est maître d’œuvre de tout, on fait toute la prestation de A à Z.

Il y a beaucoup d’acteurs qui sont dans le recyclage mais qui s’occupent seulement d’une partie : le textile ou bien les chaussures par exemple. À la différence, nous, on s’occupe de tout mais exclusivement sur les maisons de luxe et sur du pre-consumer. Donc ce qu’on apporte à nos clients c’est la garantie qu’on va bien s’occuper d’eux, qu’on va gérer l’intégralité de leur problème et ce, sans la sous-traiter et en réalisant un travail de qualité en assurant la sûreté et la sécurité des produits.

Chez ReValorem, nous nous chargeons de l’ingénierie, du suivi des produits et d’assurer à nos clients l’intégrité des produits, la qualité du processus de démontage, l’identification de la matière, la mise en état de la matière (le broyage de la matière) et l’évacuation sur le marché. En revanche, concernant les ressources humaines pour le démontage, nous avons préféré nous associer avec un atelier d’insertion appartenant au groupe Vitamine T.  

Donc aujourd’hui, ReValorem, c’est 8 personnes dans l’entreprise, auxquelles s’ajoutent à ce jour, 28 personnes en insertionsachant qu’on en aura 40 fin mars et qu’on aura 80 personnes en octobre. Et, on a un marché qui est circonscrit avec une quinzaine de maisons, auxquelles on propose toutes les prestations.

 

Pouvez-vous nous parler d’un ou plusieurs moment(s) fort(s) que vous avez vécu avec ReValorem ?

Le moment le plus fort, c’est quand on a eu notre premier contrat avec Christian Dior. Comme je vous l’ai dit, il y a 2 ans, on avait l’accord de Christian Dior pour travailler ensemble. On a travaillé sur un projet de contrat, on a lancé le projet dont la production devait commencer le 16 mars mais, pendant le premier confinement, tout était gelé et on n’avait même pas le contrat.

Donc j’ai passé tout le confinement à me dire : « est-ce qu’on aura ce contrat ou est-ce qu’on ne l’aura pas ? » Surtout que, à ce moment-là LVMH venait de faire l’acquisition de Tiffany & Co aux États-Unis en payant une somme considérable et Bernard Arnault avait donné comme consigne à tous les directeurs financiers de toutes les maisons du groupe : « vous ne sortez pas d’argent ». Mes interlocuteurs chez Dior m’ont alors dit : « ça va être compliqué de signer le contrat parce qu’on ne peut plus payer ».

J’ai, de ce fait, traversé tout le premier confinement en me demandant ce que j’allais devenir parce que j’avais monté ce projet et je comptais beaucoup là-dessus. Il y avait alors beaucoup d’interrogations, de doutes et d’incertitudes. Et, le 11 mai, jour du déconfinement, j’étais en Bretagne avec ma femme et mes enfants. À 16h40, j’ai déposé mes enfants à la gare pour rentrer à Paris et je demande à ma femme « qu’est-ce que je fais maintenant ? ». Puis, à 16h47, j’ai reçu un mail « voici le contrat, on commence demain ». Et ça c’est un moment fort.

 

Puis, le deuxième moment fort, c’est quand on a travaillé pour une très grande maison de luxe française (dont je ne peux pas citer le nom). On a fait un projet pilote qui était tellement réussi et tellement au-delà des attentes du client en termes de livrables et de résultats, que face à nous on a eu des gens qui ne s’attendaient pas à ce qu’on aille si loin dans la restitution analytique du projet.

Et tout ça, c’était grâce à une de nos jeunes stagiaires, Delphine (ingénieure des Arts et Métiers) qui maintenant a un rôle très important chez nous. Elle était juste stagiaire à ce moment-là et elle a réalisé un travail exceptionnel. Si bien qu’on a eu face à nous des gens qui étaient bluffés et qui ont dit « waw, on va travailler ensemble parce que ce que vous avez fait, jamais personne chez nous ne n’y avait pensé ». D’ailleurs, dans cette maison, ça s’est répandu comme une trainée de poudre et on a tout pris. Donc ça c’est la deuxième grande satisfaction : quand vous faites un travail tellement bon que vous avez vos clients qui rêvent de vous confier leurs sujets.

Enfin, la troisième grande satisfaction, c’est quand on a signé nos contrats sur trois ans. En effet, aujourd’hui, on a plusieurs maisons qui sont engagées avec nous sur trois ans et quand vous avez trois ans de production, vous êtes contents parce que vous avez un business qui tourne.

 

Quelles sont selon vous les qualités d’un bon entrepreneur ?

L’entrepreneuriat c’est quelque chose qu’on a en soi donc il ne faut pas se forcer à être un entrepreneur mais il faut chercher en soi les éléments de réponse à la question « suis-je un entrepreneur ? ». L’entrepreneuriat, ça s’observe sur un certain nombre d’actions que vous faites. Par exemple, si vous créez une liste BDE, vous êtes un entrepreneur alors que si vous rejoignez une liste BDE à la 12ème place, vous n’êtes pas un entrepreneur. Donc l’entrepreneur, c’est d’abord ça.

 

Puis l’entrepreneur, c’est quelqu’un qui n’a pas peur de perdre parce que de toute façon, vous allez perdre. Un succès dans l’entrepreneuriat je dis souvent que c’est un échec qui a échoué. Les gens qui réussissent dans l’entrepreneuriat c’est rare car la plupart du temps on échoue. Par exemple, pour ma part, j’ai créé 14 entreprises et j’en ai planté 10 quand même. En effet, j’ai plus fait des sorties de route avec mes entreprises que j’ai passé des lignes d’arrivée.

Donc pour faire cela, il faut se dire que quand on échouera, on se relèvera puis on repartira et il y aura toujours un soleil au bout du tunnel. Et, de manière générale, si vous voulez pouvoir survivre à un échec, il faut savoir survivre à un succès. C’est-à-dire que l’échec ne vous appartient pas et de manière symétrique, le succès ne vous appartient pas parce que le succès, il peut s’arrêter à tout moment.

 

Considérez-vous qu’il est mieux de se lancer dans l’entrepreneuriat en sortie d’école ou une fois avoir déjà travaillé dans le monde de l’entreprise en tant que salarié ?

Il n’y a pas de mieux. Il faut le faire quand on est prêt. En revanche, il y a un truc qui est certain : il est beaucoup plus facile d’être entrepreneur quand vous avez besoin de 1 000 euros par mois que quand vous avez besoin de 10 000 euros par mois. En effet, quand vous avez une famille et que vous avez des frais fixe élevés, c’est très compliqué de sauter le pas. Tandis qu’à 20 ans c’est plus simple parce que quand vous avez besoin de 1000 euros pour vivre, vous arriverez toujours à les trouver. Puis, c’est beaucoup plus simple de se casser la gueule à 20 ans que de se casser la gueule à 30 ans. Donc moi ma recommandation c’est : the sooner, the better.

Et vous savez, il y a quelque chose de terrible dans l’entrepreneuriat, c’est l’illusion qu’avec beaucoup d’argent, on fait des grandes choses. En réalité, on fait de très belles choses avec peu d’argent. Par exemple, j’ai un respect infini pour les 5 étudiants qui ont créé ProcessOut, ils avaient 16 ans et n’étaient même pas encore rentrés à l’EPITA. Ils n’ont jamais mis les pieds à l’EPITA, ils ont tout de suite eu une dérogation. Et, ils ont vendu à 20 ans leur boite pour 200 millions d’euros. Ils ont réussi parce qu’ils ont eu la vision de la chose, ils ne se sont pas posés de question et ils ont fait un truc incroyable.

 

Est-ce que vous auriez un conseil pour les étudiants qui seraient intéressés par l’entrepreneuriat ?

Si j’avais un seul conseil à donner, c’est : n’ayez pas peur ! Parce que dans « n’ayez pas peur », il y a tout dedans ! Puis, un autre conseil ce serait de s’associer et d’être deux, tout en étant parfaitement aligné avec son associé. Une des raisons pour lesquelles je me suis planté là où je me suis planté, c’est que je n’étais jamais vraiment parfaitement aligné avec mon associé. Or, ce type de situations provoquent bien souvent des échecs ou des ruptures. Et, la force de ReValorem, c’est que mon associé François et moi, on a le même parcours avec le même type d’échecs entrepreneuriaux et on a le même objectif. Donc François et moi, c’est la main droite et la main gauche et ça c’est absolument essentiel.

Par ailleurs, mal s’associer c’est selon moi, avoir l’un à 70% et l’autre à 30% parce que l’un a eu l’idée avant l’autre mais ça c’est le meilleur moyen de foncer dans le mur. Pour ReValorem, c’est moi qui ai eu l’idée et j’ai amené François sur le projet mais jamais ce projet ne se serait réalisé sans François et jamais le projet ne se serait réalisé sans moi. Donc il est évident que François et moi, on est à 50/50 sur tout : même rémunération, même part dans le capital. Si vous êtes vraiment alignés, vous allez aller tellement vite, vous allez réussir ce que vous faites et vous allez donner une confiance absolue à votre client. 

 

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Et, justement, comment faut-il faire pour trouver le bon associé ?

Il ne faut pas passer les petites annonces. Il faut regarder autour de soi, il faut parler de soi, il faut parler du projet puis il faut voir comment les gens réagissent. Et, selon moi, le bon associé ce ne sont pas deux personnes qui se complètent mais absolument identiques avec bien sûr des divergences mais qui soient des complémentarités fonctionnelles.

François est ingénieur et c’est lui qui s’occupe de toute la production et moi je m’occupe du business, des clients, de la satisfaction mais l’essentiel de l’essentiel, c’est le tronc commun. Donc il faut être absolument identique sans être pour autant le clone total parce que sinon ça veut dire que vous ne pourrez pas assurer toutes les fonctions d’une entreprise.

Et, pour trouver le bon associé il faut vivre des expériences humaines pour voir les traits de caractère des gens. Par exemple, moi je joue beaucoup au golf et c’est un sport extraordinaire pour voir la capacité des gens dans l’adversité, dans la mise à l’épreuve. Or l’entrepreneuriat c’est la mise à l’épreuve tous les jours.